mars 15, 2008

L’IMPERATRICE JOSEPHINE, VEUVE DE BEAUHARNAIS (1763-1814)

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Joséphine Bonaparte, veuve de de Beauharnais, née Tascher de la Pagerie (1763-1814), impératrice des Français (1805-1809)

Joséphine avait donné le bonheur à son mari et s’était constamment montrée son amie la plus tendre, professant – à tout moment et en toute occasion – la soumission, le dévouement et la complaisance la plus absolue.

(Napoléon Bonaparte)

JOSÉPHINE (Marie-Josèphe-Rose TASCHER DE LA PAGERIE), impératrice des Français, née aux Trois-Ilets (Martinique) le 23 juin 1763, morte à la Malmaison (Seine-et-Oise) le 29 mai 1814. Elle appartenait à une famille originaire du Blaisois. Elle fut amenée en France à l’âge de quinze ans, et y épousa, en 1779, le vicomte Alexandre de Beauharnais, dont elle eût deux enfants, le prince Eugène et la reine Hortense. Son mari ayant été emprisonné pendant la Terreur, Joséphine lui rendit en prison les soins les plus affectueux, essaya vainement de l’arracher à l’échafaud, fut arrêtée elle-même et ne dut son salut qu’au 9 thermidor. Mise en liberté par le crédit de Tallien, qui lui fit rendre une partie de ses biens, elle acquit ensuite l’amitié et la protection de Barras, et ce fut celui-ci qui lui proposa d’épouser le général Bonaparte, que les manières distinguées de Joséphine, sa grâce et sa douceur eurent bientôt captivé. Le mariage purement civil eut lieu le 9 mars 1796. Le mariage religieux ne fut célébré que la nuit qui précéda la cérémonie du sacre, huit ans plus tard. Elle partagea dès lors la fortune de Bonaparte, qui, malgré de fréquents accès d’une jalousie trop motivée, ne cessa point de l’aimer beaucoup. Pendant l’expédition d’Egypte, Joséphine s’établit à la Malmaison, et, aux approches du coup d’Etat du 18 brumaire, elle rendit les plus grands services au futur empereur par sa dextérité et l’influence que sa grâce irrésistible exerçait sur les principaux personnages de l’époque. Le 2 décembre elle fut sacrée impératrice par le pape Pie VII en même temps que Napoléon. Cinq années s’écoulèrent, et l’union de Joséphine avec Napoléon étant demeurée stérile, l’Empereur, qui tenait à avoir un héritier, résolut de faire rompre son mariage.Ce fut en dînant tête à tète avec sa femme qu’il lui apprit sa résolution de divorcer avec elle. En l’entendant, Joséphine s’évanouit. Aussi effrayé qu’ému de l’effet qu’il venait de produire, dit M. d’Haussonville, Napoléon entr’ouvrit la porte de son cabinet et appela à son aide le chambellan de service, M. de Bausset. L’évanouissement durant toujours, il demanda au chambellan si, pour éviter toute esclandre, il se sentait la force de porter l’impératrice jusque dans ses appartements, qui communiquaient avec les siens par un escalier dérobé. M. de Bausset prit l’impératrice dans ses bras, et l’Empereur, marchant le premier, à reculons, lui soutint soigneusement les pieds. Ils descendirent ainsi l’escalier. Rien n’avait paru feint ni arrangé à M. de Bausset dans la triste scène dont il était le témoin involontaire ; cependant, ses jambes s’étant un moment embarrassées dans son épée, tandis qu’il descendait cet escalier étroit, comme il se roidissait pour ne pas laisser tomber son précieux fardeau, sa surprise fut assez grande d’entendre Joséphine lui dire tout bas : « Prenez garde, monsieur, vous me serrez trop fort. » Malgré les supplications et les larmes de Joséphine, la volonté du maître s’accomplit. Le divorce fut prononcé le 16 décembre et Joséphine se retira à la Malmaison. Napoléon lui fit de magnifiques dotations, lui constitua une rente de 2 millions de francs et entretint même avec elle une correspondance dont Marie-Louise se montra plus d’une fois jalouse. Joséphine mourut d’une esquinancie, après six jours de maladie, juste au moment où Napoléon tombait, entraînant dans sa chute l’honneur de la France dont l’étranger foulait le sol. Elle put deviner les malheurs que l’insatiable ambition et la folie guerrière dû despote de brumaire, dont elle s’était faite la complice et l’associée, faisaient fondre sur nous.

(Extrait du dictionnaire Larousse du dix-neuvième siècle)

Liens : Douce et incomparable JoséphineRose Tascher de la Pagerie sur wikipedia

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septembre 19, 2007

LE DIVORCE DE NAPOLEON ET JOSEPHINE (3)

Posted in Empire, Napoléon tagged , , , , , , , , , , , , , , à 1:15 par napoleonbonaparte

L’Impératrice Joséphine (1763-1814)

Il me semble parfois que je suis morte.

En effet, l’Empereur ne reviendra plus à Malmaison parce que Marie-Louise, informée de sa visite à Joséphine, en dépit des précautions qu’il a prises pour la lui cacher, lui en fera le reproche. Désormais, les anciens époux ne correspondent plus que d’une manière épisodique. Leur destin est scellé, jusqu’à cette dernière lettre de l’empereur à Joséphine, écrite depuis Fontainebleau le 16 avril 1814, trois jours après sa tentative d’empoisonnement. « Adieu, ma chère Joséphine, résignez-vous ainsi que moi, et ne perdez jamais le souvenir de celui qui ne vous a jamais oublié et ne vous oubliera jamais. »Le divorce a marqué pour Joséphine le début d’une nouvelle existence. Elle quitte la vie officielle faite de contraintes et d’attentes de chaque instant pour une vie privée qui la ramène à ces années 1796-1797, où elle était une riche particulière fêtée par une Italie libérée du joug des Autrichiens. Plus de grands cercles à la Cour et de cet ennui qui la dévorait aux Tuileries. Plus de ces inquiétudes dans l’expectative du retour des campagnes de l’empereur. Elle n’est plus qu’une très grande dame, mais en tant que membre de la famille impériale, toujours dépendante de l’autorisation de l’empereur pour entreprendre le moindre déplacement. Mais prévoir un voyage ou demander un avis, n’est-ce pas conserver le lien ténu qui la relie encore à Napoléon ? Toutefois ces contraintes sont bien légères au regard de celles attachées à la position d’impératrice régnante, car elle ne représente plus l’Empire. Il lui arrive parfois de recevoir les hommages des autorités. Ainsi, à chaque relais de la route entre Malmaison et Navarre, les maires la haranguent encore, les jeunes filles méritantes lui remettent toujours des corbeilles de fleurs et la foule l’acclame sur son chemin. C’est pourquoi elle préfère autant que faire se peut circuler incognito, généralement sous le nom de sa dame d’honneur Mme d’Arberg. Elle s’épargne ainsi les réceptions et la représentation indissociables d’un voyage officiel. Que de fois ne l’a-t-on pas entendu répéter : « Cette étiquette est bonne pour des princesses nées sur le trône, et habituées à la gêne qu’elle impose ; mais moi qui ai eu le bonheur de vivre tant d’années en simple particulière, trouvez bon que je pardonne à ceux qui s’en souviennent autant que moi. » Mais si elle feint de ne pas s’offusquer des manquements aux principes qui régissent la vie d’une impératrice, fut-elle divorcée, aussitôt ces crimes de lèse-étiquette sont dénoncés à l’empereur. Napoléon la rabroue, mais ses rappels à la discipline prouve au moins à l’impératrice que sa cour est au complet, car les espions n’y manquent pas. Alors les somptueux uniformes remplacent immédiatement les simples habits de drap vert ornés de broderies noires : ce qui est perdu en aisance est gagné en respect. Son nouvel état lui fait retrouver un calme qui embellit sa vie. Elle paraît plus reposée, elle a pris quelques rondeurs au point que Napoléon informé de la vie sereine et régulière qu’elle mène à Navarre, lui écrit peu galamment : « On dit que tu engraisses comme une bonne fermière de Normandie. » Cet embonpoint lui va bien, mais la contraint à porter pour la première fois des baleines dans ses corsets. Si certains trouvent que la finesse de ses traits en est légèrement altérée, tous ceux qui la visitent lui reconnaissent un air de santé presque insolent qu’elle n’avait pas avant le divorce. L’épouse du sénateur Clément de Ris ose même un jour: « Votre Majesté me paraît bien engraissée » et Joséphine, une autre fois, répond à un compliment du maréchal Oudinot, d’un ton doux et résigné et avec un triste sourire : « Oui, tenez, cela me va bien de n’être plus impératrice régnante ».

Elle s’oblige à ne pas rester confinée dans ses appartements. Elle pratique la marche à pied pour affermir sa santé, s’impose une à deux heures d’exercice quotidien. En cas de mauvais temps, elle fait atteler pour une promenade dans les bois du Butard ou dans la forêt d’Evreux, selon qu’elle se trouve à Malmaison ou à Navarre. Même en cure à Aix-les-Bains elle épuise son entourage. Depuis l’été 1810, Hortense, officiellement séparée de son mari, le roi Louis, jouit d’une entière liberté qui lui permet de se rapprocher de l’impératrice. Loin de Malmaison et des intrigues de la cour, la mère et la fille se retrouvent à Genève, près d’Aix-les-Bains pour prendre les eaux. D’ailleurs l’empereur a donné son accord, pourvu que Joséphine ne retourne pas là où ils sont allés ensemble. La solitude forcée qui découle du divorce lui fait découvrir avec délectation l’art d’être grand-mère. Absorbée par les obligations officielles, elle avait à peine le temps de voir aux Tuileries les enfants d’Hortense. Elle ne connaît toujours pas ceux d’Eugène. Milan est si loin. La naissance en 1807 d’une première petite-fille, prénommée Joséphine comme elle, l’a flattée, parce que par sa belle-fille Augusta de Bavière, elle est désormais grand-mère d’une petite princesse, apparentée aux meilleures famille régnantes d’Europe. De quoi rendre encore un peu plus jaloux les frères et soeurs de l’empereur ! Ces petits-enfants italiens, elle ne les voit qu’une seule fois, en 1812, lors d’un séjour à Milan : l’aînée, Joséphine, est une beauté ; le garçon, Auguste, c’est Hercule enfant ; la troisième, Eugénie, a une physionomie vive et spirituelle et elle sera très jolie ; de la quatrième, Amélie, elle n’emportera que l’image d’un poupon bien portant et facile. Il en va différemment avec les deux fils d’Hortense, le prince Napoléon, né en 1804 et son cadet le prince Louis [le futur Napoléon III], né en 1808. Depuis l’abdication de leur père, ils vivent à Paris avec leur mère. Joséphine s’attache à eux et les prend en garde presque tous les étés pendant les absences de leur mère. Elle leur apporte l’affection qu’elle n’a pas toujours été en mesure de donner à Eugène et Hortense, se reprochant sans doute de n’avoir pas été assez disponible pour eux. « J’avais raison de rendre heureux deux enfants si bons et si sensibles, ils m’en ont bien récompensée depuis, je leur dois plus de bonheur qu’ils n’en ont eu de moi. », avoue-t-elle à sa fille. Elle ne manque aucune occasion de faire venir les deux petits princes auprès d’elle. Ils passent à Malmaison tous les étés de 1810, 1811 et 1813, excepté celui de 1812 où Joséphine est retenue à Milan, et ce printemps 1814 au cours duquel bascule le destin de l’Empire. Ils s’installent avec leur gouvernante dans l’appartement d’Hortense, tout à côté de celui de leur grand-mère. L’aîné, réfléchi et sérieux, amuse moins l’impératrice que le cadet, vite surnommé Oui-Oui, et qui visiblement a sa préférence. Joséphine ne manque pas de rapporter ses faits et gestes, les bons mots de l’enfant. Elle en éprouve une fierté bien naturelle pour une grand-mère enfin libre de donner libre cours à sa passion des enfants. Plus elle les voit, plus elle les aime, mais elle tâche de ne pas trop les gâter, car redoute fort les remontrances d’Hortense. Ils animent sa vie, elle en raffole.

Avec sa manie de tout ramener à elle, il n’est pas de lettre à Hortense où il ne soit question de sa santé. Elle regrette parfois de n’être pas assez solide pour ne pas pouvoir transmettre un peu de forces à sa fille, si maigre et si pâle. Eugène la rabroue si elle se vient à se plaindre à lui ! Mais il n’est pas une émotion, une contrariété qui ne la trouble. Un jour, ce sont ses soucis d’argent qui l’obligent à prendre un peu d’émétique; une autre fois, à Milan, elle est prise de fortes coliques et d’une disposition continuelle à vomir et se soigne avec le même remède. Ces vomissement répétés affaiblissent son organisme, aussi résistant soit-il. Elle jouit d’une santé parfois chancelante. « Moi qui ai l’air en apparence de bien me porter, j’éprouve une douleur à la tête et des bourdonnements dans les oreilles à me faire craindre de devenir sourde puisque, quelquefois, je n’entends pas », reconnaît-elle volontiers. Toutes ces petites alertes ne laissent pas de l’inquiéter. Qu’elle reste sans nouvelles d’Eugène en campagne, qu’Hortense voit se noyer sous ses yeux son amie Adèle de Broc, et aussitôt des étourdissements la prennent, la forcent d’arrêter à écrire. Elle se fait mettre alors des sangsues et s’en porte un peu mieux. Les événements de mars 1814 l’affectent profondément. Elle souffre depuis quinze jours d’un catarrhe humoral, elle se purge, ce qui l’épuise un peu plus. Réfugiée à Navarre, la position d’Eugène la tourmente. Elle est sans nouvelle de ses enfants, pleure à longueur de journée, vit dans des transes et une anxiété terribles. De retour à Malmaison, elle passe des heures entières allongée sur une chaise longue, plongée dans de tristes pensées. Hortense qui l’a rejointe, s’en inquiète. « Je la vois toujours courageuse et aimable avec tous ceux qu’elle reçoit, mais je m’aperçois qu’aussitôt qu’elle est seule, elle se livre à une tristesse qui me désespère, écrit-elle à son frère. J’ai peur qu’elle ne s’affecte trop de tous les événements qui nous ont frappés, et que sa santé ne s’en ressente. » Le sort de l’empereur la frappe au cœur en dépit de tous les hommages qui lui sont rendus par les Alliés et de l’intérêt que prend le tsar à sa situation. Alexandre partage son temps entre Malmaison et Saint-Leu et reconnaît se plaire infiniment plus dans la société intime de l’impératrice et de ses enfants qu’auprès des dames du faubourg Saint-Germain ; il ne cesse de le répéter et trouve auprès d’elles ces qualités de l’âme qu’il admire au-delà de tout. Mais dès que Joséphine se retrouve seule, ses yeux s’emplissent de larmes. L’annonce du retrait de la dépouille de son petit-fils, mort en 1807, de la cathédrale Notre-Dame, sur ordre du gouvernement provisoire, affecte sa sensibilité au point qu’Hortense la trouve toute abattue. S’y ajoute l’ingratitude des nombreux émigrés qu’elle a naguère secourus et qui semblent saisis d’amnésie. Si l’administration royale lui verse sa pension et continue de la désigner sous le titre de S.M. l’impératrice Joséphine, si les souverains étrangers viennent tout naturellement à Malmaison la saluer du nom de Majesté, les journaux, plus frileux, annoncent sa rentrée de Navarre par un inconvenant « la mère du Prince Eugène est de retour à Malmaison ». Ils persistent un peu plus tard dans leur goujaterie en relatant que l’empereur de Russie a dîné avec le prince Eugène, sa mère et sa sœur. Joséphine n’est-elle donc à leur yeux que la mère du prince Eugène ? Elle est à cent lieues d’imaginer que le comte Beugnot – que Napoléon n’aimait pas trop – annoncera sa mort à Louis XVIII par cette incroyable formule « Mme de Beauharnais a excité généralement des regrets ». Comme si elle n’était plus que la veuve, et pourquoi pas encore l’épouse, d’ Alexandre de Beauharnais ! Non seulement tout cela l’étonne, mais elle s’en offusque allant jusqu’à répéter à qui veut l’entendre : « j’ai eu un nom ; je suis montée sur le trône ; j’ai été couronnée et sacrée ! »

L’occupation de la France par les armées ennemies et l’abdication de Napoléon ébranlent sa santé, au point que le 25 mai, Eugène très inquiet sur l’état de l’impératrice, écrit à Augusta : « Notre mère est bien souffrante depuis deux jours et ce matin elle a beaucoup de fièvre ; le médecin dit que ce n’est qu’un catarrhe mais, moi, je ne la trouve pas bien du tout. » Tout va désormais très vite. Elle s’alite pour ne plus se relever. Elle meurt le dimanche de Pentecôte 29 mai à midi, regrettée de ceux qui l’entourent et de tous ceux qui l’ont connue, portant encore ce titre d’impératrice que plus tard on l’eût probablement forcée d’abandonner.

Quelle perte irréparable pour Hortense, Eugène et Augusta. En quelques mois ils voient s’écrouler leur univers et disparaître celle qui faisait leur bonheur. Les armées françaises d’abord vaincues, l’empereur est exilé à l’île d’Elbe, puis remplacé par un nouveau gouvernement, plutôt hostile, mais heureusement tempéré par l’attitude favorable du tsar. Nullement préparés à tant de bouleversements, au moment où leur sort est encore incertain, survient la mort brutale et inattendue de cette mère chérie. Ces derniers mois ont bouleversé Joséphine, au point qu’elle semble lassée par tant d’abandons, inquiète par un avenir qu’elle sent incertain. Ne serait-ce le sort de ses enfants, on la sent prête à abandonner la lutte. Et qui sait si l’envie de lutter ne l’habitant plus, elle ne s’est pas laissée glisser doucement vers ce néant auquel chacun aspire pour en finir avec des maux devenus insupportables ?
Devant tant d’émotions douloureuses, les enfants de l’impératrice, ne peuvent rester à Malmaison ; ils décident de se retirer à Saint-Leu d’où Eugène remplit son devoir filial en écrivant à l’empereur :
« Sire, je remplis un devoir bien pénible pour mon coeur. J’ai l’honneur d’informer Votre Majesté qu’avant-hier, à midi, nous avons perdu Vous la meilleure des amies, ma soeur et moi la plus tendre des mères.
Une maladie maligne et putride a terminé sa vie en quatre jours. Elle est morte avec le courage, le calme et la résignation d’un ange. Tout ce qu’elle nous a dit de Vous dans les derniers moments de sa vie, nous a assez prouvé combien elle Vous était sincèrement attachée. »

EPILOGUE

Défait à Waterloo le 18 juin 1815, au soir d’une « journée de géants », comme le dira Wellington, Napoléon se replie en catastrophe à Malmaison, au milieu des souvenirs de ses premières années de gloire et de bonheur. Il y passe cinq jours dans l’attente des passeports qui lui permettront de quitter le sol français pour les Etats-Unis. Seul avec Hortense, l’empereur se remémore les jours heureux de Malmaison, mais sans Joséphine, tout lui semble vide. Il croit parfois l’apercevoir au détour d’une allée cueillant l’une de ces plantes qu’elle aimait tant. Parmi les derniers fidèles qui l’entourent, il reconnaît le médecin de Joséphine, Claude-Elie Horeau, un disciple de Corvisart. Il veut connaître les derniers instants de l’impératrice. Et comme toujours avec lui, les questions fusent. A peine le médecin a-t-il le temps d’y répondre :
– Vous dites qu’elle avait du chagrin… quel chagrin ? d’où venait-il ?
– De ce qui se passait, Sire ; de la position de Votre Majesté.
– Ah ! elle parlait de moi, donc !
– Souvent… très souvent…
– Bonne femme ! Bonne Joséphine ! elle m’aimait vraiment, celle-là, n’est-ce pas ? Elle était Française !…
– Oh ! oui, Sire, et elle vous l’eût prouvé, si la crainte de vous déplaire ne l’eût retenue ; au moins elle en avait conçu l’idée.
– Comment cela ? Qu’aurait-elle fait ?
– Elle dit, un jour, qu’Impératrice des Français, elle aurait traversé Paris, à huit chevaux, toute sa Maison en grande livrée, pour aller vous rejoindre à Fontainebleau, et ne plus vous quitter.
– Elle l’aurait fait, monsieur, elle était capable de le faire !

Lien : Le divorce de Napoléon et Joséphine (1)

© Bernard CHEVALLIER, directeur des châteaux de Malmaison et Bois Préau, du musée napoléonien de l’Île d’Aix, et de la Maison Bonaparte à Ajaccio, conservateur général du patrimoine.

LE DIVORCE DE NAPOLEON ET JOSEPHINE (2)

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Divorce de Napoléon et Joséphine (1809)

La politique n’a pas de coeur, elle n’a que de la tête.

(Napoléon Bonaparte)

Les quinze jours qui séparent Joséphine de l’acte officiel de séparation vont être pour elle parmi les plus terribles de sa vie. Avec beaucoup d’élégance, la femme s’efface une dernière fois devant l’impératrice pour faire les honneurs des Tuileries aux souverains étrangers venus à Paris à l’occasion de la signature de la paix avec l’Autriche. Quelle épreuve pour elle que tous ces regards qui la fixent et l’observent, parfois même avec un air de satisfaction ou de triomphe. Non cette séparation ne se passera pas à l’ombre des lambris dorés des Tuileries, mais au vu et au sus de toute l’Europe assemblée. Et que l’on juge du programme des festivités : grande réception à Malmaison le 1er décembre, Te Deum à Notre-Dame le 3, revue aux Tuileries et fête à l’Hôtel de Ville le 4, fête à Grosbois chez Berthier le 11 et grand cercle à la Cour le 14. Tous les témoins ont remarqué le courage de l’impératrice. Le futur chancelier Pasquier, placé près d’elle à ce dernier cercle, a été « frappé de la parfaite convenance de son maintien en présence de tout ce monde qui l’entourait encore d’hommages et qui ne pouvait ignorer que c’était pour la dernière fois, que dans une heure elle descendrait du trône et quitterait le palais pour n’y jamais rentrer ». Mme de Chastenay se souvient « de cette soirée, dans laquelle rien ne fut changé à la manière accoutumée ; cependant on voyait les traces de ses larmes et l’empreinte d’un profond chagrin sur le visage toujours gracieux de celle qui représentait pour la dernière fois ». Joséphine se prépare à la cérémonie du lendemain, dernière épreuve de la lente montée au supplice que représente pour elle cette répudiation, redoutée depuis près de quinze ans et qui subitement vient de la rattraper. Le 15 décembre, devant la famille impériale réunie dans le grand cabinet de l’Empereur aux Tuileries, le divorce par consentement mutuel est prononcé, exemple unique dans l’histoire de France d’une séparation où chacun des époux fait l’éloge de l’autre. Napoléon affirme qu’elle a embelli quinze ans de sa vie ; « le souvenir en restera toujours gravé dans mon cœur ». Joséphine assure que « la dissolution de mon mariage ne changera rien aux sentiments de mon cœur : l’Empereur aura toujours en moi sa meilleure amie. » Parfaitement maîtresse d’elle-même, dans sa robe blanche toute simple et sans le moindre ornement, elle se lève pour lire d’une voix assez ferme – du moins au début – les paroles d’adhésion à l’acte de séparation. Elle regagne son appartement abattue et épuisée par l’éprouvante cérémonie qui vient de s’achever. Hortense, cherchant à la réconforter, ne trouve pas mieux à dire que la dernière souveraine sortie de ce palais n’en est partie que pour monter à l’échafaud! Le 16, à cinq heures et demi du soir, Joséphine quitte à la nuit tombante sous une pluie battante ce palais , « triste comme la grandeur », où elle était entrée voici près de dix ans, par un après-midi de février 1800 aussi pluvieux que celui-ci. Tout semble l’abandonner pour ce départ sans retour. En apercevant sa voiture qui l’attend dans la cour, elle a comme l’impression que le temps l’a rattrapée et qu’elle monte dans cette charrette à laquelle avait échappé la veuve Beauharnais.

L’empereur va passer quelques jours à Trianon et l’impératrice se retire à Malmaison. Il vient lui rendre visite et la trouve très affaiblie. La vie pendant ces premiers jours n’est pas facile pour elle. L’empereur pourtant ne cesse de lui écrire ; sur les trente neufs lettres conservées entre décembre 1809 et avril 1814, douze sont envoyées dans les quinze jours qui suivent le départ des Tuileries. Comme il connaît sa Joséphine sur le bout du doigt, il alterne dans ses missives, gronderies et preuves d’amitié. Mais a-t-il le malheur de lui faire part de ses regrets et de son affliction, qu’elle entre dans des états terribles. Mais comment réagirait-elle autrement alors qu’il lui écrit « J’ai été fort ennuyé de revoir les Tuileries, ce grand palais m’a paru vide et je m’y suis trouvé isolé » ou « J’ai été bien content de t’avoir vue hier. Je sens combien ta société a de charme pour moi » ? Si trop de froideur de la part de l’empereur la désole, l’expression de ses regrets augmente son état de faiblesse. Anéantie, n’ayant plus goût à rien, elle se laisse aller à des aveux poignants. « Il me semble quelquefois que je suis morte, et qu’il ne me reste qu’une sorte de faculté vague de sentir que je ne suis plus », reconnaît-elle devant Mme de Rémusat. Le repos lui tient lieu désormais de bonheur, et c’est avec une extrême résignation qu’elle reçoit les marques de respect et l’empressement qu’on lui témoigne. Le temps passe, les lettres s’espacent. Napoléon n’oublie jamais de faire dire à l’impératrice qu’il se porte bien et qu’il désire qu’elle soit heureuse, mais les visites que lui rendent les personnes de la Cour ravivent sa douleur et lui rappellent les jours heureux de naguère. Chacun s’étonne de la voir supporter avec tel courage, elle qu’on dit si changeante et légère, ce sacrifice admirable fait à la nation toute entière. Au début, il y a affluence de voitures sur la route de Malmaison. On ne veut pas paraître abandonner celle à qui on était accoutumé à rendre des hommages. Puis, avec le temps, les visiteurs se font plus rares. Napoléon lui-même espace ses venues. « j’y allais rarement : une fois l’an, et c’était toujours pour moi une visite désagréable et pénible : des regrets, des pleurs… Et je n’y pouvais rien. » Joséphine n’ose plus quitter sa maison de peur de rater une visite impromptue de l’empereur. Elle attend avec impatience le page qui les lui apportera d’improbables lettres. Quand elle est informée d’une chasse de l’empereur en forêt de Saint-Germain, elle se poste à la fenêtre de son boudoir, d’où l’on aperçoit la grande route de Paris à Cherbourg, à guetter le passage de sa voiture. Parfois Napoléon s’arrête. Alors, l’on voit les anciens époux se promener dans le jardin comme en ce jour de juin 1810 où Joséphine le revoit pour la première fois depuis son remariage avec Marie-Louise. « J’ai eu hier un jour de bonheur, mande-t-elle à Hortense : l’Empereur est venu me voir. Sa présence m’a rendue heureuse, quoiqu’elle ait renouvelé mes peines… Ces émotions sont de celles qu’on voudrait éprouver souvent. Tout le temps qu’il est resté avec moi, j’ai eu assez de courage pour retenir des larmes que je sentais prêtes à couler ; mais après qu’il ait été parti, je n’ai pu les retenir, et je me suis trouvée bien malheureuse. Il a été pour moi bon et aimable comme à son ordinaire, et j’espère qu’il aura lu dans mon cœur toute la tendresse et tout le dévouement dont je suis pénétrée pour lui. »

Comme remède à sa mélancolie, son médecin lui recommande l’exercice. Napoléon insiste pour qu’elle se promène quotidiennement dans son jardin, qu’elle aille voir ses plantes, tandis que Mme de Rémusat tente de l’épuiser par de longues marches dans les bois de Saint-Cucufa. « Elle se laissait faire ; je lui parlais, je la questionnais, je l’agitais en tous sens, elle se prêtait à tout, comprenait mon intention, et semblait m’en savoir gré, au milieu de ses larmes » rapporte la dame du Palais à son mari.

Une fois le grand sacrifice accompli, il convient de trouver une épouse à l’empereur. Un mois a passé. Joséphine commence à se ressaisir. Elle s’occupe de son nouvel état, de son installation au palais de l’Elysée, remis à son intendant en janvier 1810, puis du château de Navarre situé aux portes d’Evreux que l’empereur vient de lui affecter comme seconde résidence. Elle refuse les propositions de Napoléon de la nommer gouvernante de Rome ou de l’établir à Bruxelles, car elle veut vivre à Malmaison. Comme il ne veut la contraindre en rien, il la laisse libre de son choix. Elle cultive sans doute le secret espoir de pouvoir jouer encore un rôle à la Cour. Elle se verrait volontiers en impératrice-mère, comme au temps d’ Henri IV, à porter la queue de la robe de la nouvelle souveraine ainsi que l’avait fait Marguerite de Valois pour Marie de Médicis. Elle examine avec attention la liste de toutes les princesses d’Europe à marier, à la recherche de celle qui conviendrait le mieux à la politique de l’empereur et elle jette son dévolu sur la jeune archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. Personne alors n’est en mesure de deviner l’idée véritablement incroyable qui vient de germer dans l’esprit de Joséphine . Elle convie à Malmaison la propre épouse du Chancelier d’Autriche afin de faire demander à l’empereur François la main de sa fille. Mme de Metternich n’en croit pas ses oreilles. Eugène et Hortense présents lors de l’entrevue, appuient le projet de leur mère et se déclarent autrichiens dans l’âme! Se croit-elle donc toujours régnante, cette impératrice partie en quête de celle qui va lui succéder, sinon dans le cœur, du moins dans la couche de Napoléon ? Non, ni le choix ni la décision finale ne lui appartiennent, car c’est à la suite du conseil du 28 janvier 1810 que la princesse autrichienne est préférée à une grande-duchesse russe. Et c’est Eugène que Napoléon choisit pour aller officiellement chez le prince de Schwarzenberg, ambassadeur d’Autriche, faire la demande en mariage de l’archiduchesse Marie-Louise ! Tout va désormais aller très vite et Joséphine perd l’avantage qu’elle escomptait retirer de sa démarche.

Il ne lui reste plus maintenant qu’à tenter un rapprochement avec la nouvelle impératrice. Mais c’est sans compter sur le caractère de Marie-Louise que la moindre allusion à l’ancienne impératrice alarme et inquiète. De son côté, nullement vindicative et indulgente comme à son ordinaire, Joséphine ne la considère absolument pas comme une rivale. Elle se contenterait de la conseiller, de regarder l’enfant qui va naître un peu comme le sien. Mais Marie-Louise oppose un veto aux offres de Joséphine que rien ne peut assouplir. C’est sur un ton quelque peu dépité que celle-ci confie à Eugène en novembre 1810 : « Il paraît que l’impératrice Marie-Louise n’a pas parlé de moi et qu’elle n’a aucun désir de me voir. En cela nous sommes parfaitement d’accord, et je n’aurais consenti à la voir que pour faire plaisir à l’Empereur. Il paraîtrait même qu’elle a pour moi plus que de l’éloignement, et je n’en vois pas la raison, car elle ne me connaît que par le grand sacrifice que je lui ai fait. Je désire comme elle le bonheur de l’Empereur et ce sentiment devrait la rapprocher de moi. »
Napoléon s’accommode plutôt bien de la jalousie qui oppose les deux impératrices. Il persuade Joséphine de renoncer à rencontrer Marie-Louise ; il insinue que la nouvelle impératrice la croit une vieille femme, largement en âge d’être sa mère. Mais Joséphine insiste, il l’en dissuade, et à bout d’arguments finit par lui dire que Marie-Louise pourrait prendre ombrage des séductions de sa grâce. Elle ne manquerait pas de pleurer, elle le supplierait d’éloigner cette rivale, ce qu’il ne pourrait éviter de faire. A défaut de se rapprocher de la mère, Joséphine tente une offensive du côté du petit roi de Rome. Déjà pour sa naissance en mars 1811, elle a donné une grande fête à Navarre, regrettant d’être à cette occasion si loin de Paris. Elle s’attriste de ne pas avoir appris la nouvelle par l’empereur, mais sa manie de tout ramener à elle lui fait friser l’injustice, car Napoléon lui annonce la naissance de son fils dès le 22 mars, soit deux jours après la venue au monde du petit roi. « Mon fils est très gros et très bien portant, écrit-il à Joséphine. J’espère qu’il viendra à bien. Il a ma poitrine, ma bouche et mes yeux. J’espère qu’il remplira sa destinée. » Mais ces mots ne lui suffisent pas. Elle désire rencontrer ce bambin, prix de son sacrifice. Elle se réjouit de le savoir en bonne santé, elle trouve que la facilité avec laquelle ses premières dents ont percé annonce une bonne constitution. Elle insiste tant pour le voir que, de guerre lasse, Napoléon finit par céder. Mais que de précautions prises pour une simple visite! on n’en aurait pas prises autant pour une rencontre entre ambassadeurs de pays ennemis ! En 1812, par un bel après-midi de printemps, l’enfant, âgé d’un peu plus d’an, est amené à Bagatelle par sa gouvernante Mme de Montesquiou. «En entrant dans la cour, M. de Canisy [Premier Ecuyer du roi de Rome], avec un air d’étonnement, vint m’annoncer que l’Impératrice Joséphine était là, rapporte la brave Maman Quiou. Je lui répondis : – Nous sommes trop avancés pour reculer ; cela serait inconvenant. L’entrevue avait été arrangée avec le consentement de l’Empereur que Joséphine avait supplié. Elle était dans le petit cabinet du fond. Elle nous fit entrer tout de suite. Elle se mit à genoux devant l’enfant, fondit en larmes et lui baisa les mains en disant : Mon cher petit, vous saurez un jour l’étendue du sacrifice que je vous ai fait ; je m’en rapporte à votre gouvernante pour vous le faire apprécier. Après avoir passé une heure avec l’enfant et moi, elle voulut voir tout ce qui composait dans ce moment le service du jeune roi. Elle fut aimable comme elle l’était toujours. » Ce sera la seule entrevue de Joséphine avec cet enfant qui lui a coûté son trône. En octobre 1812 au moment où le général Malet, profitant de l’absence de Napoléon retenu en Russie, fomente un complot, Joséphine envisagera avec Hortense de rejoindre le petit roi de Rome et Marie-Louise, au cas où ils eussent couru quelque danger.

Il lui est infiniment plus facile, à défaut de fréquenter l’épouse légitime et son héritier, d’inviter à Malmaison la maîtresse de l’empereur et son fils. En effet, la douce Marie Walewska n’y voit pas malice et Joséphine, peu rancunière, prend un plaisir (pervers?) à s’entourer des anciennes maîtresses de Napoléon, comme la belle Carlotta Gazzani, qui conserve après 1810 auprès d’elle ses fonctions de lectrice. La comtesse Walewska devient ainsi une habituée du salon de Malmaison. Joséphine la couvre de présents et achète de somptueux cadeaux pour le petit Alexandre chez la veuve Stor, marchande de jouets d’enfants établie au Palais du Tribunat [Palais-Royal], galerie de bois n° 228. Frappée de sa ressemblance avec l’empereur, l’impératrice ne cesse de prodiguer des caresses à cet enfant. Elle apprécie chez sa mère cette bonté et cette absence d’ambition qui la rendent bien plus attachante que toutes les autres maîtresses de l’empereur.

Le 30 avril 1812, à onze heures vingt du matin, l’empereur sans se faire annoncer arrive à Malmaison par un temps magnifique, en calèche découverte accompagné par le Grand Maréchal Duroc, le maréchal Mortier, le général Durosnel et trois personnes du service. Joséphine a tout juste le temps de l’accueillir au débouché du petit pont qui ouvre sur le vestibule. Les anciens époux s’embrassent tendrement, puis font quelques pas dans le jardin, sans chercher à se cacher des personnes de leurs suites. Qu’ont-ils bien pu se raconter pendant l’heure et demi où ils sont restés ensemble (on sait que l’empereur est parti à exactement une heure moins dix)? Sans doute, l’a-t-il entretenue de son départ imminent pour la campagne de Russie, vers ces contrée si lointaine qu’elle n’est pas bien certaine qu’il en revienne. De retour chez elle, Joséphine laisse éclater sa joie comme après chaque rencontre avec Napoléon, mais elle ne sait pas alors qu’elle vient de le voir pour la dernière fois.

Lien : Le divorce de Napoléon et Joséphine (3)

© Bernard CHEVALLIER, directeur des châteaux de Malmaison et Bois Préau, du musée napoléonien de l’Île d’Aix, et de la Maison Bonaparte à Ajaccio, conservateur général du patrimoine.

LE DIVORCE DE NAPOLEON ET JOSEPHINE (1)

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Napoléon annonce son intention de divorcer à Joséphine (1809)

Elle était femme dans toute la force du terme.

(Napoléon Bonaparte)

Le divorce ? On en parle dès 1798. En effet, deux ans à peine après leur mariage, la flamme amoureuse de Napoléon ne s’accommode plus guère de cette espèce d’indolence qui caractérise Joséphine. La passion de Bonaparte s’affaiblit au moment où celle de sa femme se transforme en une jalousie presque maladive. Sa première aventure extra conjugale en Egypte avec Pauline Fourès, inaugure une série d’amourettes sans lendemain, mais qui ne laissent pas d’inquiéter Joséphine. C’est tout d’abord la Grassini, la fameuse cantatrice italienne, que le vainqueur de Marengo ajoute à ses conquêtes. Cette liaison vaut de nombreuses scènes de ménage à Joséphine qui ne les supporte plus. Elle se renseigne auprès de sa confidente, Mme de Krény, très au fait des intrigues de la Cour consulaire. « j’ai appris que, depuis huit jours, la Grassini était à Paris, lui mande-t-elle. Il paraît que c’est elle qui cause toute la peine que j’éprouve… Tâchez aussi de savoir où cette femme demeure. » La crainte du divorce la tourmente sans cesse au point d’égarer sa raison. Sa jalousie maladive tient en fait à la politique et non à l’amour. Jusqu’au Consulat, Bonaparte couche bourgeoisement avec sa femme. Pour être sûre de le garder dans son lit, Joséphine l’a persuadé qu’avec son sommeil fort léger, s’il arrivait qu’on tente quelque entreprise nocturne contre lui, elle serait là pour appeler au secours. En 1803, il décide de faire chambre à part, suite à une maladresse de Joséphine elle-même. Une nuit où après avoir travaillé avec Talleyrand jusqu’à quatre heures du matin, il rentre se coucher, épuisé et préoccupé, un bougeoir à la main, il voit surgir l’impératrice de l’obscurité, l’œil hagard, qui lui demande sans ménagement : « au moins était-elle jolie ? » D’abord interloqué, ne sachant que répondre, sa colère éclate devant les suspicions de sa femme: « – Puisque vous le prenez ainsi, Madame, couchez chez vous et moi dans ma chambre. Je montai chez moi et ne couchait plus régulièrement avec l’impératrice, qui, dès lors, me perdit de vue depuis le soir jusqu’au lendemain déjeuner. Je ne la voyais plus que quelquefois et j’eus alors toute ma liberté. » A la suite de cet incident, et comme pour tout ce qui devient rare, Joséphine se met subitement à donner une grande importance aux visites nocturnes de son mari, au point que tout le monde en est instruit dès le lendemain matin : « Je me suis levée tard aujourd’hui, mais, voyez-vous, c’est que Bonaparte est venu passer la nuit avec moi. », glisse-t-elle avec malice à ses femmes.

A chaque nouvelle aventure, Napoléon devient irascible, insupportable envers Joséphine, comme s’il voulait lui faire payer sa propre infidélité. Il pousse même la cruauté jusqu’à lui apprendre lui-même son infortune. « Je ne suis pas un homme comme un autre, dit-il, et les lois de la morale ne peuvent être faites pour moi ». Dans ces conditions, comment s’étonner que l’impératrice qui a le pied léger vienne écouter à la porte, curieuse de savoir en quelle galante compagnie se trouve son mari. Elle n’agit pas autrement au moment de la liaison de l’empereur avec Mme Duchâtel en 1804. Ses reproches le fatiguent ; il se fâche ; elle pleure, et ne retrouve son calme habituel qu’une fois la passade terminée. Mais en octobre de la même année, la jalousie de Joséphine outrepasse les bornes. A Saint-Cloud, elle se faufile sans bruit jusqu’à la porte du petit appartement secret où Napoléon reçoit, Mme de Vaudey, sa nouvelle conquête. L’impératrice les surprend dans les bras l’un de l’autre. Effrayée par cette intrusion, Mme de Vaudey s’enfuit, laissant l’empereur face à sa femme. Furieux de se savoir espionné, il explose et dans sa fureur parle de divorcer. Joséphine éclate en sanglots; ses larmes parviennent à l’apaiser. Mais l’alerte a été chaude. Après le Sacre, Joséphine s’assagit, bien consciente que son crédit auprès de Napoléon dépend de son aptitude à lui assurer la tranquillité dans son ménage et qu’elle repose sur l’égalité de son caractère. Elle se calme, en prend son parti et évite de le quereller sur un sujet qui fâche. De son côté, Napoléon paraît si empressé de raconter ses succès féminins qu’on peut se demander s’il ne les recherche pas uniquement pour s’en vanter. Il prend l’impératrice pour confidente. Par excès de complaisance, elle va jusqu’à favoriser ses fantaisies passagères, se donnant le rôle qu’avait joué Mme de Pompadour auprès de Louis XV en lui fournissant des jeunes filles pour son plaisir. Ainsi en 1808, elle pousse Virginie Guilbaud, sa lectrice, dans le lit de son mari. Napoléon s’en souviendra à Sainte-Hélène, non sans quelque dégoût. « La chose qui m’a le plus déplu, confiera-t-il au Grand Maréchal Bertrand, deux mois avant de mourir, c’est qu’à Marracq, l’Impératrice vint avec Mme Gazzani et Mlle Guilbaud. Il était évident que c’était pour me donner des maîtresses… En me donnant une maîtresse, Joséphine espérait me retenir, et par là empêcher le divorce. Franchement, je ne fus pas content de cette conduite. »

En novembre 1807, la question du divorce est évoquée pour la première fois devant l’impératrice, non plus comme une rumeur qui lui serait simplement rapportée, mais au cours d’un entretien informel avec Fouché, le ministre de la police. Il l’invite à sacrifier son bonheur à celui de la patrie. L’empereur doit laisser des enfants après lui et fonder une dynastie qui ôte aux Bourbons toute espérance de retour. Elle est le seul obstacle à la consolidation de la monarchie impériale, lui dit-il en substance, et son dévouement la placera au-dessus des souveraines les plus illustres qui ont occupé le trône de France. Mais pourquoi chercherait-elle à anticiper les événements alors qu’elle peut laisser aller librement le cours des choses ? Connaissant le caractère de son mari qui n’a jamais besoin d’intermédiaire pour pareille commission, elle soupçonne Fouché d’agir de son propre chef. « Je regarde mon lien avec l’Empereur comme écrit dans le livre des plus hautes destinées, lui répond-elle avec une grande dignité. Je ne m’expliquerai jamais que vis-à-vis de lui-même, et ne ferai jamais que ce qu’il ordonnera ». Napoléon, fort mécontent de cette malencontreuse démarche de son ministre, le désavoue officiellement. Toutefois, il n’est pas mécontent de voir les bruits de divorce se propager dans le public. Il faut préparer en effet l’opinion à ce grand événement. Il l’a arrêté dans son esprit sans en avoir encore en fixé la date. L’impératrice elle-même en parle comme d’une éventualité à laquelle elle s’est résignée. Il se raconte aussi que Napoléon aurait désigné Eugène comme son héritier, au cas où il viendrait à disparaître. Ces racontars irritent profondément l’empereur, qui ne souffre pas qu’on lui inspire sa conduite. « Vous avez des enfants, je n’en ai pas, déclare-t-il à Joséphine avec l’idée de l’amener à comprendre son choix. Vous devez sentir la nécessité où je me trouve de songer à consolider ma dynastie ; pour cela il faut que je divorce et que je me remarie. Cela sera avantageux à vos enfants. Vous avez beau pleurer, la raison d’Etat est la plus forte ; il faut vous y soumettre de bonne grâce, car, bon gré, mal gré, j’y suis résolu. » L’impératrice n’a jamais contré les ordres de Napoléon et elle n’est certainement pas disposée à s’opposer maintenant à lui. Il est le maître, lui seul décidera de son sort. « Quand vous m’ordonnerez de quitter les Tuileries, j’obéirai à l’instant, lui répond-elle. Je suis votre femme, j’ai été couronnée par vous en présence du Pape ; de tels honneurs valent bien qu’on ne les quitte pas volontairement. Si vous divorcez, la France entière saura que c’est vous qui me chassez, et elle n’ignorera ni mon obéissance, ni ma profonde douleur ». La sagesse de son attitude et la dignité de ses propos lui sont inspirées par Eugène, toujours vigilant à seconder sa mère de ses conseils. Quand lui parviennent les bruits que Fouché fait courir, il écrit à l’impératrice en septembre 1807 : « Tu n’auras jamais rien à redouter de lui parce que l’empereur en lui-même méprise ceux qui lui donnent de mauvais conseils… Si l’empereur te tracasse encore sur des enfants, dis-lui que ce n’est pas bien à lui de te reprocher des choses semblables. S’il croit que son bonheur et celui de la France l’obligent à en avoir, qu’il n’ait aucun égard étranger ». Des passions contraires et un attendrissement sincère agitent l’empereur, déstabilisé par le comportement très noble de l’impératrice. En l’absence de Napoléon parti vers Noël en tournée d’inspection dans le royaume d’Italie la rumeur se fait plus insistante. Joséphine affecte un flegme qui cache en réalité un profond accablement. Quitte à perdre sa place, elle préfèrera tomber la tête haute plutôt que de s’abaisser à des flatteries de courtisane. « Le retour de l’empereur m’a beaucoup occupée… écrit-elle à Eugène le 10 février 1808. Tu devines aisément que j’ai eu bien des sujets de chagrin. Les bruits qui couraient pendant l’absence de l’empereur n’ont pas cessé à son retour et ont, dans ce moment-ci, plus de prôneurs que jamais. Il est vrai que leurs auteurs n’ont pas été punis; au contraire, on a remarqué que ceux qui avaient cherché à les démentir ont reçu un accueil plus froid. Au reste, je m’en remets à la Providence et à la volonté de l’empereur. Ma seule défense est ma conduite, que je tâche de rendre irréprochable. Je ne sors, je n’ai plus aucun plaisir et je mène une vie à laquelle on s’étonne que je puisse me plier, après avoir été accoutumée à être moins dépendante et à voir beaucoup de monde. Je m’en console en pensant que c’est me soumettre au désir de l’empereur. Je vois ma considération baisser tous les jours tandis que d’autres augmentent en crédit… Que les trônes rendent malheureux… J’en signerais demain sans aucune peine l’abandon pour tous les miens. Le coeur de l’empereur est tout pour moi. Si je dois le perdre, j’ai peu de regret à tout le reste. Voilà ma seule ambition, et mon coeur tel qu’il est. Je sais bien que ce n’est pas avec cette franchise qu’on réussit, et si je pouvais, comme beaucoup d’autres, n’être qu’adroite, je m’en trouverais beaucoup mieux, mais je préfère conserver mon caractère. J’ai du moins l’estime de moi-même… »

Tout le monde à la Cour a intérêt au maintien de Joséphine sur le trône. Elle est douce, elle tempère par son équanimité les emportements de Napoléon, elle sait si bien obliger. L’arrivée d’une princesse inconnue, russe ou autrichienne, qu’importe, en haussant l’empereur au niveau des vieilles familles régnantes, risquerait par ailleurs de le couper encore un peu plus de ses courtisans. A la ville comme à la Cour, on ne parle plus que de la dissolution de ce mariage, chacun affiche sa propre opinion en fonction le plus souvent de son intérêt. A Paris, seuls les dévots, les frondeurs et les femmes de quarante à cinquante ans, par solidarité féminine avec Joséphine, le désapprouvent hautement. Mais cette nouvelle alerte sérieuse reste sans suite, car l’affaire d’Espagne occupe ailleurs Napoléon éloigné. Le voyage triomphal de l’empereur et de l’impératrice en 1808 dans les départements de l’ouest éloigne temporairement les bruits de divorce. Sur ces terres de chouannerie, Joséphine conquiert les coeurs de toute une population naguère soulevée contre le pouvoir central ; dans l’immédiat, il serait extrêmement inopportun de la répudier tandis qu’elle recueille tous les suffrages. Mais Napoléon ne peut indéfiniment différer sa décision. Le divorce est inéluctable, sa politique l’exige.

Pourtant, il hésite encore, il tergiverse. Il est tellement habitué à cette femme qu’il connaît depuis près de quinze ans et dont la douceur et le calme lui conviennent si bien. Il n’a cependant plus aucune doute sur sa capacité à engendrer. Si la naissance du futur comte Léon en décembre 1806 ne porte pas pour lui à conséquence, car elle est le fruit d’une amourette avec une jeune personne qui collectionne les amants, en revanche l’enfant que porte Marie Walewska en juillet 1809, et dont il est indiscutablement le père, le plonge dans des transports de joie. En effet, cette paternité lui ouvre l’espérance d’avoir un jour un héritier de son sang. Elle arrache sa décision et le détermine au divorce d’une manière définitive. Nous tenons là l’événement décisif, le point de non retour. D’ailleurs Joséphine, informée de tout, ne s’y trompe pas. Inquiète de la liaison passionnée que son mari entretient à Vienne avec la belle polonaise, elle est atterrée par la nouvelle de la grossesse de la jeune femme. Elle qui a toujours prétendu que la stérilité de leur couple incombait à l’empereur, elle sait que dorénavant ses jours sont comptés. De retour à Fontainebleau le 26 octobre, Napoléon lui demande de venir le rejoindre immédiatement. Le divorce est arrêté dans sa tête, mais il redoute de nouveau une nouvelle crise de larmes. Aussi se montre-t-il distant. Il évite toute intimité avec elle, il ne l’emmène plus dans sa calèche pour la promenade. Il a même ordonné depuis Schönbrunn qu’on mure la porte de communication entre leurs deux appartements. En arrivant au palais, Joséphine s’en est étonnée. « Croyez qu’il y a là-dessous quelque mystère ! » a-t-elle fait remarquer à M. de Bausset, le Préfet du Palais. Napoléon veut s’épargner des scènes publiques.

Des scènes, justement, combien en a-t-il essuyées au cours de ces deux dernières années ? Déjà au début de 1808, peu avant le départ pour Bayonne, un soir, au moment de se mettre au lit, il avait perdu toute contenance et, pressant l’impératrice dans ses bras, il lui avait répété en pleurs: « Ma pauvre Joséphine, je ne pourrai point te quitter ! » . Dans ces moments aussi extrêmes, Joséphine plus maîtresse d’elle-même que jamais, adopte le ton des grands jours et vouvoie l’empereur. Elle le console, le prie de se calmer « Sire, sachez ce que vous voulez, lui dit-elle, et finissons de telles scènes. » Cette situation la met dans un état d’agitation perpétuelle, au point que chaque coup donné à sa porte lui provoque des battements de cœur si violents qu’elle peut à peine respirer. Leur retour à Paris le 14 novembre 1809 annonce la fin du drame. L’empereur qui a toujours redouté le spectacle de la sensibilité féminine, a constamment adopté dans les circonstances pénibles une attitude rigide et froide. Joséphine et Hortense qui le connaissent bien, savent comment le décontenancer en adoptant un ton déterminé et calme. Aussi lorsque Napoléon convoque sa belle-fille pour lui annoncer sa décision et lui dire que rien ne saurait le faire changer d’avis, Hortense l’assure que sa mère « se soumettra, j’en ai la conviction, et nous nous en irons tous, emportant le souvenir de vos bontés ». A ces mots, l’empereur s’agite: « quoi ! vous me quitterez tous, vous m’abandonnerez ! Vous ne m’aimerez donc plus ? ». Il répand des larmes, sanglote , incapable de cacher son émotion, sentant le besoin de justifier cette attitude qui n’est dictée que par la raison d’Etat. Le sacrifice n’est facile pour personne. Napoléon lui-même s’y résout péniblement, surtout en présence d’Eugène et d’Hortense. Il aime Joséphine, il la regrettera, mais si son cœur hésite encore, sa décision est arrêtée.

La fameuse scène de l’évanouissement de Joséphine se déroule aux Tuileries le 30 novembre, trois jours après qu’Hortense a informé sa mère de la décision de l’empereur. Napoléon en sort profondément troublé. Il confie à M. de Bausset : « L’intérêt de la France et de ma dynastie a fait violence à mon cœur ; le divorce est devenu un devoir rigoureux pour moi ; je suis d’autant plus affligé de la scène que vient de faire Joséphine que depuis trois jours elle a dû savoir par Hortense la malheureuse obligation qui me condamne à me séparer d’elle. Je la plains de toute mon âme, je lui croyais plus de caractère et je n’étais pas préparé aux éclats de sa douleur. »

Lien : Le divorce de Napoléon et Joséphine (2)

© Bernard CHEVALLIER, directeur des châteaux de Malmaison et Bois Préau, du musée napoléonien de l’Île d’Aix, et de la Maison Bonaparte à AJaccio, conservateur général du patrimoine.

septembre 2, 2007

NAPOLEON ET JOSEPHINE – LA GENERALE BONAPARTE

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Napoléon et la générale Bonaparte lors de première campagne d’Italie

Si je gagne les batailles, c’est toi qui gagnes les coeurs.

(Napoléon Bonaparte)

Rien ne prédestinait la veuve Beauharnais à devenir la première dame de France. Le 6 août 1794, à la suite de la chute de Robespierre, elle sort de la prison des Carmes après cent huit jours d’emprisonnement. Elle doit alors tout reconstruire ; veuve avec deux enfants de treize et onze ans, elle n’a de cesse que de récupérer les biens de son mari, Alexandre de Beauharnais, afin de s’assurer un semblant d’aisance. Multipliant les expédients, elle loue un charmant petit hôtel, rue Chantereine dans le quartier à la mode, où elle reçoit tout ce que Paris compte de personnalités importantes. Très rapidement, Joséphine devient l’une des égéries de cette société thermidorienne qui gravite autour du plus influent des Directeurs, Barras. Il est indéniable qu’une forte complicité les unit sans que l’on sache réellement la nature de leurs liens ; Joséphine, qui a l’époque portait le prénom de Rose, a toujours été proche du pouvoir quelqu’il soit, non pas pour l’exercer, mais pour en tirer les avantages matériels qu’il procure. Son destin va basculer à la suite de l’insurrection royaliste de vendémiaire écrasée par Bonaparte ; c’est vers la mi-octobre 1795 qu’elle rencontre ce jeune général victorieux qui gravite dans le cercle de Barras ; elle lui rend une première visite pour le remercier d’avoir autorisé son fils, Eugène de Beauharnais, à conserver le sabre de son père, alors qu’il était interdit aux particuliers de garder des armes sous peine de mort.

A force de la revoir, Bonaparte finit par tomber sous le charme de cette femme qui représente pour lui cette aristocratie d’ancien régime à laquelle il n’appartient pas vraiment et dont il sait qu’il peut tirer parti pour sa carrière. D’autre part, général en chef de l’armée de l’Intérieur depuis le 26 octobre, il fait partie de ces militaires du premier rang dont l’avenir ouvre des perspectives de sécurité à cette femme toujours désargentée. Il y a dans cette relation une véritable communauté d’intérêts ; mais peu à peu leur liaison va prendre un tour passionnel ; elle s’en amuse, flattée d’inspirer une telle passion à ce jeune général de vingt-six ans alors qu’elle en compte six de plus. Puis tout va aller très vite comme le confirme cette lettre de décembre 1795 : « Je me réveille plein de toi. Ton portrait et le souvenir de l’enivrante soirée d’hier n’ont point laissé de repos à mes sens. Douce et incomparable Joséphine, quel effet bizarre faites-vous sur mon cœur ! » C’est le moment où Bonaparte, abandonnant le prénom de Rose, décide de l’appeler Joséphine en féminisant le second prénom de sa bien-aimée, Joseph. L’idée d’un mariage se précise assez rapidement, car les bans sont publiés dès le 7 février 1796 et le contrat signé le 8 mars. Le mariage civil est célébré dès le 9 à la mairie du IIè arrondissement, cette précipitation s’expliquant par la nomination du mari le 2 mars comme commandant en chef de l’armée d’Italie en remplacement du général Schérer.

Mais la nouvelle générale Bonaparte ne va pas pouvoir profiter bien longtemps de la vie conjugale ; en effet, dès le surlendemain, 11 mars, le mari quitte Paris en chaise de poste pour rejoindre ses troupes. Commence alors pour Joséphine cette vie chaotique et aventureuse qui lui sera tant reprochée. D’un côté les lettres enflammées pleines de fougue du mari, lettres dont l’intensité croît au fur et à mesure qu’il s’éloigne d’elle, et de l’autre la presque indifférence d’une femme à la mode qui entend bien jouir des plaisirs de Paris et qui s’amuse de cette passion dont elle est l’objet. Elle réagit en femme d’Ancien Régime pour qui un mariage est toujours arrangé et dans lequel l’amour n’a pas sa place ; alors comment s’étonner qu’étant encore à Nice, Bonaparte s’échauffe dans une de ses missives lui écrivant « dans ta lettre du 23, du 26 ventôse, tu me traites de vous. Vous toi-même. Ah ! Mauvaise ! comment as-tu pu écrire cette lettre ? qu’elle est froide ! ». Il la désire auprès de lui en Italie alors qu’elle est entourée à Paris d’une cour d’admirateurs au premier rang desquels figure ce jeune Hippolyte Charles, jeune lieutenant et beau garçon, sorte de chevalier servant qui la suit pas à pas et dont l’assiduité auprès d’elle prête à médisance. Alors, au début de mai elle se décide à annoncer à Bonaparte un début de grossesse, ce qui réjouit et attriste à la fois cet époux impatient : « Il est donc vrai que tu est enceinte ; Murat me l’écrit, mais il me dit que cela te rend malade, et qu’il ne croit pas prudent que tu entreprennes un aussi grand voyage ». S’agit-il d’une manœuvre pour rester à Paris ou d’une réelle grossesse ? Nul ne saurait le dire et l’on doit se contenter des quelques billets écrits par Joséphine à cette époque dans lesquels elle évoque une forte fièvre, un violent point de côté et une santé chancelante. Mais Bonaparte n’y tient plus ; le 15 juin il confie à Joseph « Ma femme, tout ce que j’aime dans le monde est malade. Ma tête n’y est plus…. Tu sais que je n’ai jamais aimé, que Joséphine est la première femme que j’adore. Sa maladie me met au désespoir. » Il finit par menacer de rentrer à Paris ayant écrit la veille, 14 juin, à Joséphine : « Si ta maladie continue, obtiens-moi une permission de venir te voir une heure. Dans cinq jours je suis à Paris, et le douzième je suis à mon armée ». Les Directeurs s’affolent de cet éventuel retour et adressent à Bonaparte cet étonnant document signé de Carnot : « Le Directoire qui s’était opposé au départ de la citoyenne Bonaparte dans la crainte que les soins que lui donnerait son mari ne la détournassent de ceux auxquels la gloire et le salut de la patrie l’appellent, était convenu qu’elle ne partirait que lorsque Milan serait pris. Vous y êtes ; nous n’avons plus d’objections à faire. Nous espérons que le myrte dont elle se couronnera ne dépassera pas les lauriers dont vous a déjà couronné la victoire ».

Enfin, le 26 juin, elle quitte Paris accompagnée de Joseph Bonaparte et Nicolas Clary son beau-frère, de Junot et de l’indispensable Hippolyte Charles dont les calembours, souvent d’un goût douteux, font son bonheur. Lorsqu’elle arrive à Milan le 10 juillet, Bonaparte n’y est pas et il la retrouve seulement le 13 pour ne rester que deux jours avec elle, devant rallier très vite son poste de combat ; depuis leur mariage il y a plus de quatre mois, les deux époux ne sont restés ensemble que quatre jours ! Loin de Paris, Joséphine va beaucoup s’ennuyer pendant les 453 jours que durera son absence ; elle s’en confie à Térésa Tallien dans une lettre du 23 juillet : « J’ai fait le voyage le plus pénible qu’il soit possible de faire. J’ai été dix-huit jours en route. J’ai eu la fièvre en montant en voiture et une douleur de côté. La fièvre est passée mais les douleurs de côté durent encore. Je n’ai vu Bonaparte qu’un moment. Il est très occupé au siège de Mantoue. Je pars demain au soir pour aller à Brescia. Cela me rapprochera du quartier général. Je m’ennuie ici à la mort au milieu des fêtes superbes que l’on me donne. Je regrette sans cesse mes amis de Chaillot [les Tallien], celui du Luxembourg [Barras]. Joseph me tient fidèle compagnie. Nous nous entretenons toujours avec plaisir de Thérésita, et mon refrain est : « Ah ! si elle était ici, je serais bien plus heureuse. » Mon mari ne m’aime pas : il m’adore. Je crois qu’il deviendra fou. Il est impossible d’être plus heureuse que je ne suis de ce côté….. Arrivée à Milan, la municipalité a voulu me traiter comme une archiduchesse et non comme une républicaine. Elle m’avait logée dans la plus belle maison de Milan. On avait composé ma maison de garde de trente domestiques, de cinq cuisiniers. Comme je ne suis qu’une républicaine, par conséquent simple particulière à Milan comme à Paris, j’ai pris la liberté de renvoyer tout ce monde et de me restreindre à mon petit ménage de la rue Chantereine. »

Cette année et demi passée en Italie va lui donner l’occasion d’acquérir cette aisance de souveraine qu’elle saura si bien mettre en application lorsqu’elle sera devenue impératrice. Les usages du monde qu’elle a appris dans sa jeunesse lui permettent de se sentir à l’aise en représentation. Désormais le ton de ses lettres change ; elle ne supplie plus ses correspondants, mais les prie aimablement d’intervenir en faveur de ses protégés ; elle se met à écrire d’égal à égal aux ministres ; n’est-elle pas après tout la femme de celui qui décide ? Tous les princes d’Italie lui donnent des fêtes et elle est même reçue par le grand-duc de Toscane, frère de l’Empereur et oncle d’une petite archiduchesse de cinq ans qui lui succédera un jour dans la couche de Napoléon.

Elle se rapproche donc du théâtre des combats en partant pour Brescia, puis Vérone, mais le 30 juillet, en tentant de regagner Brescia, elle essuie le feu des armées autrichiennes en longeant le lac de Garde ; elle confie à Joseph : « que j’ai été poursuivie par les uhlans, qu’on m’a fait passer dans les ruines de Mantoue, que les boulets me pleuvaient sur la tête, qu’à cinq pas de moi un dragon qui m’escortait a eu un cheval tué sous lui, et un autre a été blessé. Jugez, mon cher Joseph, les dangers que j’ai courus. » Furieux, Bonaparte promet au général autrichien Wurmser de lui faire chèrement payer les larmes versées par Joséphine. De fait, il le bat à Castiglione quelques jours plus tard puis l’obligera à abandonner Mantoue, place jugée jusque là imprenable. Ce « fait d’armes » de Joséphine connaîtra même les honneurs du Salon de 1806 où le peintre Hippolyte Lecomte présentera une toile montrant la voiture de Joséphine canonnée sur les rives du lac de Garde ; le tableau ornera sous l’Empire l’appartement de son fils, Eugène de Beauharnais, au palais des Tuileries (aujourd’hui au musée de Versailles)

Il n’est plus question pour Bonaparte après cet incident d’exposer sa femme aux risques de la guerre, d’autant que celle-ci considère que sa place n’est pas d’être aux armées. Elle s’installe donc à Milan au palais Serbelloni et les deux époux restant séparés, la correspondance du mari reprend, faite de reproches, de déclarations enflammées et de cris de jalousie assaisonnés de nouvelles militaires. Jusqu’à la fin de 1798 alterneront ainsi des séparations et des séjours en commun à Milan, à Bologne ou à Passariano près d’Udine. C’est dans la villa de Mombello, au nord de Milan, que les deux époux président le 14 juin 1797 le double mariage religieux d’Elisa et de Pauline Bonaparte avec Baciocchi et Leclerc. Enfin, à la fin du mois de novembre 1797 Joséphine quitte Milan pour remonter vers Paris au moment où Bonaparte se dirige vers Rastadt afin de traiter avec les plénipotentiaires de l’empereur. Joséphine mettra un mois pour rentrer, passant par Venise où on lui donne de grandes fêtes, par Turin et par Lyon qui la célèbre par des bals et des réceptions ; enfin, le 30 décembre, elle rentre dans sa petite maison de la rue Chantereine qui depuis deux jours a été débaptisée et s’appelle désormais rue de la Victoire ou rue des Victoires-Nationales, en l’honneur des victoires de son mari qui était lui-même à Paris depuis le 5 du mois.

Va s’ouvrir alors pour les deux époux une période de vie conjugale particulièrement longue de quatre mois et demi jusqu’au départ de la flotte pour l’Egypte à Toulon le 19 mai 1798. A peine rentré à Paris, Bonaparte reçoit un accueil enthousiaste et les autorités célèbrent son retour avec faste. Le 3 janvier 1798 il assiste avec Joséphine à une grande fête donnée en leur honneur par Talleyrand dans les salons de l’hôtel de Gallifet, fête retardée trois fois par suite du retard de l’épouse du général ! Quelques jours plus tard, Bonaparte qui s’était fortement enrichi pendant la campagne d’Italie, décide de visiter le château de Malmaison en vue de son achat ; très vite, il y renonce, trouvant le prix bien trop élevé. En revanche, le 26 mars, il se rend acquéreur de l’hôtel de la rue de la Victoire qui était simplement loué depuis 1795. Avant de rejoindre l’armée, Bonaparte confie son patrimoine à son frère Joseph et lui demande d’acheter le château de Ris, au sud de Paris, ainsi qu’une terre en Bourgogne. Enfin, le 3 juin les époux quittent Paris à trois heures du matin et arrivent à Toulon le 9. Joséphine assiste donc au départ de la flotte le 19 au matin, mais elle ne suit pas son mari en Egypte ainsi qu’elle en informe Barras dans une lettre du 26 mai : « Je suis restée à Toulon, mon cher Barras. Bonaparte a craint de rencontrer les Anglais. Il n’a point voulu m’exposer. Si je ne pars pas sous quinze jours, j’irai à Plombières pour y prendre les eaux et j’irai dans deux mois rejoindre Bonaparte en Egypte. » Mais le mari persiste dans son projet de faire venir son épouse auprès de lui, car depuis Malte il confie à Joseph le 18 juin : « J’écris à ma femme de venir me joindre, si elle est à portée de toi, je te prie d’avoir des égards pour elle ».

Joséphine quitte Toulon aux environs du 5 juin en direction de Plombières où elle arrive le 14. Elle y restera trois mois, espérant que les eaux, réputées traiter la stérilité féminine, la soulagerait des douleurs qui l’assaillent. A nouveau loin de Paris, Joséphine s’ennuie, se sait entourée d’ennemis et ne tarde pas à prendre Barras comme confident se plaignant de ne pas avoir de nouvelles de Bonaparte ; elle lui écrit seulement quatre jours après son arrivée : « J’ai besoin d’en avoir [des nouvelles]. Je suis si chagrine d’être séparée de lui que j’ai une tristesse que je ne puis vaincre. D’ailleurs, son frère [Joseph], avec lequel il a une correspondance si suivie, est tellement abominable pour moi que je suis toujours inquiète loin de Bonaparte. Je sais qu’il a dit à un de ses amis, qui me l’a répété, qu’il n’aurait de tranquillité que lorsqu’il m’aurait brouillé avec mon mari. C’est un être vil, abominable, que vous connaîtrez un jour ». Et de fait, le poison fait son œuvre chez le mari qui confie à Joseph dans une lettre du 25 juillet : « J’ai beaucoup de chagrin domestique car le voile est entièrement levé ». Le fait est corroboré par Eugène qui confie à sa mère le 24 juillet, soit trois jours après la victoire des Pyramides : « Bonaparte, depuis cinq jours, paraît bien triste, et cela est venu à la suite d’un entretien qu’il a eu avec Julien, Junot et même Berthier ; il a été plus affecté que je ne croyais de ces conversations. Tous les mots que j’ai entendus reviennent à ce que Charles est venu dans ta voiture jusqu’à trois postes de Paris, que tu l’as vu à Paris, que tu as été aux Italiens avec lui dans les quatrièmes loges [qui étaient des loges grillées], qu’il t’a donné ton petit chien, que, même en ce moment, il est près de toi ; voilà, en mots entrecoupés, tout ce que j’au pu entendre. Tu penses bien, Maman, que je crois pas cela, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que le général est très affecté ». Bonaparte avait pris désormais la décision de divorcer dès son retour d’Egypte et affiche ostensiblement sa liaison avec Pauline Fourès.

Installée dans une belle demeure de la Grand’Rue de Plombières, la vie de Joséphine s’y serait déroulée sans histoire sans le pénible accident survenu le 20 juin ; occupée à divers travaux dans son salon et appelée par Mme de Cambis, elle se précipite vers le balcon avec deux de ses compagnons afin de voir passer un petit chien ; le plancher du balcon, en mauvais état, cède sous le poids et tout le monde se retrouve sur le trottoir quatre mètres plus bas. Joséphine, tombée assise, éprouve une violente commotion. Ce accident met toute la France en émoi et tous les jours, Barras reçoit des bulletins de santé de la malade rédigés dans la langue des médecins de Molière ; voici l’un d’eux : « Aujourd’hui 6 messidor, la citoyenne Bonaparte a pris un léger purgatif : trois onces de manne dans une légère décoction de tamarin. Ce purgatif a évacué beaucoup de bile, et la malade s’en trouve bien ». Le malheur de l’épouse du général en chef intéresse les autorités au plus haut point ; elle doit les recevoir, supporter leurs discours, écouter les vœux qu’on forme pour sa santé et pour la gloire de son époux. Plombières est vraiment la ville d’eaux à la mode ; on y voit arriver Mme de Montesson, veuve du duc d’Orléans, ou bien le directeur Reubell qui se montre aimable et empressé auprès la femme du général en chef. Les journées se passent en réunions mondaines, en promenades, en jeux ou en concerts. La saison touchant à sa fin, Joséphine pense qu’il est grand temps de rentrer ; elle quitte Plombières le 12 septembre et arrive à Paris dans la nuit du 15.

Rentrée rue de la Victoire, elle reprend très vite ses habitudes parisiennes, rendez-vous avec Hippolyte Charles et dîners chez Barras qu’elle assaille de billets de recommandation pour ses protégés. L’hiver arrivant, sans nouvelles de son mari et Joseph ne se pressant pas d’acheter les propriétés désirées par Bonaparte, elle reprend l’initiative et fait approcher à nouveau les propriétaires de Malmaison. Il va sans dire qu’elle n’a pas un sous vaillant en poche et qu’elle compte sur le retour du mari pour régler la transaction. Elle va même jusqu’à emprunter 15 000 francs au régisseur des vendeurs afin de régler le premier acompte ! L’acte est signé le 21 avril 1799 et Joséphine s’y installe aussitôt. Elle s’y plait beaucoup, avouant à Barras : « Depuis que j’habite la campagne, je suis devenue si sauvage que le grand monde m’effraie ». Hortense dans une lettre à son frère confirme ce besoin de solitude : « Maman a acheté la Malmaison, qui est près de Saint-Germain. J’y suis presque toutes les décades ; elle y vit très retirée, n’y voit que Mme Campan et Mlles Auguié qui y viennent souvent avec moi ».

C’est dans ce contexte qu’elle prépare un éventuel retour de son mari en donnant deux grands dîners aux membres du Directoire dans la salle à manger de sa nouvelle demeure. Elle cajole Gohier, nommé récemment Directeur et se réjouit de l’arrivée au Directoire de Sieyès, un vieil ami. Avec Barras, cela fait trois Directeurs qu’elle rallie à sa cause. Aussi lorsque le 9 octobre, à l’heure du dîner, on apprend le débarquement de Bonaparte à Fréjus, Joséphine ne perd pas un instant et décide de le rejoindre au plus vite, redoutant avec raison que ses beaux-frères n’arrivent avant elle et ne la dénigrent auprès du général. Accompagnée d’Hortense, elle court vers le Midi, passant par la route de Bourgogne, tandis que Bonaparte remonte en empruntant celle du Bourbonnais. Aussi, arrivé rue de la Victoire au matin du 16, trouve-t-il une maison vide. Immédiatement le clan Bonaparte lui démontre que le divorce s’impose ; Bonaparte s’enferme dans son cabinet, jurant de ne pas ouvrir sa porte à sa femme. C’est le surlendemain, 18 octobre, qu’a lieu la fameuse scène de réconciliation au cours de laquelle, après avoir vainement tenté de franchir la porte de son appartement, Joséphine se décide à faire intervenir ses enfants qui pleurèrent et prièrent avec elle. Bonaparte n’y résista point et le lendemain matin, Lucien Bonaparte eut la désagréable surprise de trouver les deux époux dans le même lit !

La réconciliation acquise, Joséphine reçoit dans son salon tous ces militaires qu’il faut bien rallier à la cause de Bonaparte car les événements vont s’accélérer. En effet, le 9 novembre, le coup d’Etat lui donne les pleins pouvoirs avec le titre de Premier Consul. Le 11 les époux abandonnent leur petite maison de la rue de la Victoire pour s’installer au Luxembourg. La générale Bonaparte prend alors le titre de consulesse et devient la première dame de France. Consciente de son nouveau rôle, elle suit désormais l’étoile de Napoléon, abandonnant la vie aventureuse de la générale Bonaparte.

© Bernard CHEVALLIER, directeur des châteaux de Malmaison et Bois Préau, du musée napoléonien de l’Île d’Aix, et de la Maison Bonaparte à Ajaccio, conservateur général du patrimoine.

septembre 1, 2007

JOSEPHINE, LES PREMIERS PAS D’UNE IMPERATRICE

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L’Impératrice Joséphine en tenue de sacre

Si je la fais impératrice, c’est par justice ! J’ai un coeur d’homme et je suis surtout un homme juste ; si j’avais été jeté dans une prison au lieu de monter sur le trône, elle aurait partagé mes malheurs. Il est juste qu’elle participe à ma grandeur.

(Napoléon Bonaparte)

C’est à Saint-Cloud, où Joséphine et Bonaparte résident depuis le 10 avril 1804, que se déroulent les différentes étapes qui mèneront à la création de l’Empire. Après avoir adopté le principe de l’hérédité et décidé de donner le titre d’empereur au général Bonaparte, puis après avoir discuté du sénatus-consulte sur la création de l’Empire, le Sénat, conduit par Cambacérès, se rend le 18 mai au palais afin de proclamer Napoléon empereur des Français. Sa harangue terminée, Cambacérès se tourne vers Joséphine qui s’entend donner pour la première fois le titre d’impératrice : « Nous venons de présenter à votre auguste époux le décret qui lui donne le titre d’Empereur, et qui, établissant dans sa famille le gouvernement héréditaire associe les races futures au bonheur de la génération présente. Il reste au Sénat un devoir très doux à remplir, celui d’offrir à Votre Majesté Impériale l’hommage de son respect et l’expression de la gratitude des Français. Oui, Madame, la renommée publie le bien que vous ne cessez de faire. Elle dit que toujours accessible aux malheureux, vous n’usez de votre crédit auprès du chef de l’Etat que pour soulager leur infortune ; et qu’au plaisir d’obliger, Votre Majesté ajoute la reconnaissance plus douce, et le bienfait le plus précieux. Cette disposition présage que le nom de l’Impératrice Joséphine sera le signal de la consolation et de l’espérance : et, comme les vertus de Napoléon serviront toujours d’exemple à ses successeurs pour leur apprendre à gouverner les Nations, à la mémoire vivante de votre bonté, apprendre à leurs augustes compagnes que le soin de sécher les larmes est le moyen le plus sûr de régner sur tous les cœurs. Le Sénat se félicite de saluer le premier Votre Majesté Impériale, et celui qui a l’honneur d’être son organe, ose espérer que vous daignerez le compter au nombre de vos plus fidèles serviteurs. » Naturellement superstitieuse, Joséphine ne peut s’empêcher de songer qu’elle venait d’être saluée du titre d’impératrice à l‘endroit même où le dernier des Valois, Henri III, avait été assassiné ; elle en restera longtemps affectée.

Première dame de France depuis le coup d’Etat de Brumaire, Joséphine s’était habituée peu à peu à ce rôle de représentation qu’elle allait assumer avec bonheur pendant deux lustres entiers. Déjà comme épouse du Premier Consul, elle avait pris l’habitude de recevoir les autorités partout où elle se rendait, fut-ce en cure à Plombières. Elle avait accompagné Bonaparte dans ses voyages à Lyon, en Normandie ou en Belgique et peu à peu elle avait franchi avec lui les étapes qui allaient les mener ensemble vers l’Empire. Les honneurs n’étaient donc pas nouveaux pour Joséphine et à ses qualités de tact, d’aménité et de bonté se joignait une très grande dignité dont elle ne départit jamais. La tâche fut moins aisée pour les nouveaux courtisans, mais ils s’y mirent peu à peu comme le général Thiébault, farouche républicain, qui se rappelle qu’il lui était « impossible d’employer le mot d’impératrice et celui de Majesté à propos de Joséphine, qui, malgré la transformation de son mari et sa communauté d’honneurs, restait pour moi Mme Bonaparte… Peu à peu, cependant, je me mis au ton du jour, et bientôt il n’y eut plus rien d’impérial que je ne trouvasse en Joséphine », allant même jusqu’à déclarer « On ne l’approchait qu’avec admiration ; on ne l’écoutait qu’avec délices ; on ne la quittait qu’enchanté d’elle et de ses manières ».

La proclamation de l’Empire à Saint-Cloud est aussitôt suivie de plusieurs cérémonies ; c’est tout d’abord une adresse faite le 27 mai par le Tribunat à l’Impératrice, puis le 9 juin la cour de Cassation la célèbre à son tour. C’est le lendemain, 10 juin, que Joséphine intervient pour tenter de sauver quelques uns des complices de Cadoudal qui viennent d’être condamnés à mort. Chacun dans la famille impériale ayant décidé d’obtenir la grâce d’une des victimes, la nouvelle impératrice se charge de M. de Rivière et des frères Polignac, Armand et Jules ; elle fait entrer les soeurs du premier et les parentes du second qui se jettent aux pieds de Napoléon ; sans attendre un instant, il leur fait grâce ainsi qu’à quatre autres condamnés, tous nobles, les autres subissant immédiatement leur supplice.

Dès qu’elle le peut, Joséphine accompagne l’Empereur dans ses déplacements, aussi ne manque-t-elle sous aucun prétexte le court voyage qu’il entreprend à Fontainebleau dans ce même mois de juin ; parti de Saint-Cloud dans la journée du 27, le couple impérial arrive à 23 heures dans l’antique cité des rois. Le lendemain, Napoléon inspecte d’abord l’Ecole Militaire, puis il chasse en forêt ; c’est lors de ce court séjour qu’il donne ses ordres pour rétablir le château afin d’y recevoir le Pape pour la fin novembre. Quittant le palais dès le 29, l’empereur et l’impératrice prennent la route de Melun vers le début de l’après-midi et s’en vont dîner chez Augereau en son château de la Houssaye-en-Brie. Cette visite d’un tout nouvel empereur à un nouveau maréchal d’Empire se termine tard dans la nuit, et tout le monde est rendu à l’aube à Malmaison.

Mais il s’agit là d’un simple voyage d’ordre privé, car la première apparition en public des nouveaux souverains n’a lieu que le 15 juillet lorsqu’ils se rendent le matin à Notre-Dame pour entendre la messe dite par le cardinal légat, messe suivie d’un Te Deum ; de là, ils vont directement aux Invalides pour assister à la cérémonie de prestation de serment des membres de la Légion d’honneur ; l’impératrice, accompagnée de ses dames, se tient dans une tribune drapée de soie bleue, faisant face au trône de l’empereur. Le soir, après avoir assisté au feu d’artifice tiré depuis le Pont Neuf, le couple impérial visite aux flambeaux les salles du musée Napoléon, notre actuel musée du Louvre.

Si l’empereur part pour le camp de Boulogne trois jours après le 18 juillet, l’impératrice quitte Saint-Cloud le 23 pour un long voyage de cent neuf jours dont elle ne rentrera que le 8 octobre. Ce premier voyage, qu’elle effectue en grande partie seule pour la première fois comme impératrice, revêt une grande importance aux yeux de l’empereur, même si le prétexte en est une cure aux eaux d’Aix-la-Chapelle. Il ne s’agit plus du déplacement d’une riche particulière, mais du voyage officiel de la plus puissante souveraine d’Europe : aussi rien ne doit être laissé au hasard, et les dépenses qu’il occasionne sont à la hauteur des visées politiques de l’empereur : on achète quarante-sept chevaux, huit voitures et nombre de schalls, tabatières ou bijoux à offrir en présent aux autorités locales. Afin que l’impératrice ne descende pas à l’auberge, l’empereur fait acquérir, avec ses meubles, la maison du conseiller de préfecture Jean-Frédéric Jacobi, l’un des plus beaux hôtels d’Aix qui est depuis l’été 1800 le chef-lieu du département français de la Roer. Plus de cinquante personnes accompagnent Joséphine, parmi lesquelles son premier écuyer, deux chambellans, la dame d’honneur entourée de trois dames du palais et le secrétaire des commandements. Devant un tel déploiement, les mauvaises langues ne peuvent s’empêcher de raconter qu’à peine formée, la nouvelle cour impériale se rend près des vieux murs du palais de Charlemagne afin de faire des répétitions de solennités et d’étiquette !

Le parcours semble bien long, car les entrées et les sorties de ville sont marquées par vingt-cinq coup de canon, généralement accompagnés de discours de bienvenue auxquels Joséphine répond selon les notes laissées par l’empereur; ses réponses sont encore plus gracieuses lorsque sa mémoire en défaut l’oblige à improviser ses remerciements. Après avoir couché le premier soir à Reims, la petite caravane passe la nuit suivante à Sedan et, rien n’ayant été préparé, trouve refuse pour le troisième soir dans une modeste auberge de Marche-en-Famenne, en Belgique, après être passé par des chemins quasi inexistants où il faut maintenir les voitures en équilibre avec des cordes! Enfin, après avoir traversé la Meuse par le bac, on arrive à Liège, chef lieu du département de l’Ourthe, au soir du 26 juillet où l’on couche à la préfecture. Mais le plus difficile reste à venir : la route de Liège à Aix n’est qu’une suite de précipices où chacun laisse quelque débris de sa voiture en passant ; aussi bouche-t-on de toute urgence avec du sable les trous dans lesquels s’engloutissent les roues des véhicules. Joséphine arrive enfin à Aix le 27 à cinq heures et demi du soir après cinq jours d’un voyage éprouvant, confiant à sa fille Hortense : « Tu sais le pénible voyage que j’ai fait ; je n’entreprendrai pas de t’en donner des anecdotes qui seraient trop longues à te raconter ». Elle s’installe aussitôt dans la maison que l’empereur avait acquise pour découvrir qu’elle est petite, laide et peu convenable pour de tels hôtes. Toujours soumise aux ordres de son époux, elle attend avec résignation l’autorisation de l’empereur pour accepter l’offre du préfet Méchin d’occuper l’hôtel de la préfecture ; elle va y résider pendant un mois et demi. La petite cour s’organise selon une étiquette encore balbutiante ; l’impératrice prend ses repas sont avec toutes les personnes qui l’accompagnent, y compris l’officier de gendarmerie commandant l’escorte dont le rôle est de fournir à l’empereur des rapports de police quotidiens ; ainsi la petite cour est-elle au complet, car il n’y manque pas même un espion !

Les bains sont le prétexte du voyage ; aussi l’impératrice ne manque-t-elle pas de s’y rendre et d’en prendre cinq en huit jours, précisant à Hortense « J’ignore encore l’effet que me produiront les eaux, qu’il faut prendre avec infiniment de prudence ». Sa femme de chambre, Mlle Avrillion, ne semble guère les apprécier « ce qui n’est pas agréable, c’est le résultat pour l’odorat des salutaires eaux qui font la fortune d’Aix-la-Chapelle. Les eaux thermales sont si abondantes qu’elles s’écoulent en ruisseaux brûlants exhalant une odeur sulfureuse ». Le 1er août, visitant le trésor de la cathédrale, on présente à Joséphine une petite boîte de vermeil appelée Noli me tangere accompagnée d’un manuscrit précisant qu’elle avait été ouverte pour la dernière fois en 1356 et qu’elle ne devait l’être à nouveau que lors d’une circonstance exceptionnelle ; la serrure qui avait résisté aux doigts courtisans des chanoines, s’ouvre alors comme par miracle sous ceux de l’impératrice. Mais il faut bien passer le temps, aussi décide-t-elle de visiter les vieux châteaux carolingiens des environs et d’autres autres fois une mine de charbon ou une manufacture d’épingles. La réputation de bonté de Joséphine lui fait un devoir de se rendre à l’Institut des Pauvres de la ville où elle fait montre de cette générosité habituelle que Napoléon fustigera dans un moment d’humeur à Sainte-Hélène et que relate Las Cases dans le Mémorial : « Elle donnait. Mais se serait-elle privée de quelque chose pour donner ? Non. Aurait-elle fait un sacrifice pour aider quelqu’un ? Voilà la vraie bonté. Elle donnait, mais elle puisait dans le sac ». Les soirées sont longues, aussi fait-on venir de Paris la troupe dirigée par l’auteur dramatique Picard qui joue devant elle une pièce nouvelle, la femme aux quarante-cinq ans, dont le sujet laissa un goût amer chez celle qui venait de passer la quarantaine… Mais la grande affaire du voyage reste la remise des croix de la Légion d’honneur destinées au département de la Roer par l’impératrice elle-même ; dans une sorte d’esquisse de ce que sera plus tard le couronnement, Joséphine revêt pour la première fois son manteau de cour accompagné d’une traîne de moire blanche brodée d’or, et la tête coiffée d’un superbe diadème en diamants, elle fait son entrée solennelle dans la cathédrale où vingt empereurs allemands avaient été couronnés. Assise sur un trône qu’on lui a préparé dans le chœur, elle remet les décorations aux nouveaux chevaliers venus s’incliner devant leur nouvelle souveraine.

Depuis son camp de Boulogne, Napoléon instruit Joséphine de ses projets d’invasion de l’Angleterre. Le ton des lettres qu’il lui adresse est celui d’un empereur à son épouse ; aussi s’exprime-t-il dans le langage des cours et toutes ses missives commencent invariablement par une formule très inhabituelle chez lui, « Madame et chère femme » ; parfois il les ponctue de mots piquants, la prévenant de sa future arrivée sur un ton mi sérieux mi badin : « Comme il serait possible que j’arrivasse de nuit, gare aux amoureux. Je serai fâché si cela les dérange. Mais l’on prend son bien partout où on le trouve ». De fait, Napoléon venant du camp de Boulogne, arrive à Aix-la-Chapelle dans l’après-midi du 2 septembre. Aussitôt la présence de l’empereur renforce cette étiquette que Joséphine tente toujours d’atténuer lorsqu’elle est seule, disant à qui veut l’entendre qu’elle est bonne pour les princesses nées sur le trône et habituées à la gêne qu’elle impose. Les cérémonies succèdent aux cérémonies et le 7 septembre, après un nouveau Te Deum célébré à la cathédrale, les chanoines lui offrent, malgré les réticences de l’empereur, un bijou connu sous le nom de talisman de Charlemagne, qui aurait été trouvé au cou de l’empereur carolingien lors de l’exhumation de son corps en 1166. Conservé par Joséphine comme un porte-bonheur, il passa à la reine Hortense, puis à Napoléon III dont la veuve, l’impératrice Eugénie, l’offrit à l’archevêque de Reims après l’incendie de la cathédrale. Joséphine doit soutenir ce train d’impératrice, se soumettre aux cérémonies en grand costume, même si parfois son écrin ne répond pas à la hauteur de sa situation ; elle en est même contrainte d’écrire le 8 septembre à Hortense : « Tu me feras plaisir, si tu ne portes pas tes diamants, de me les envoyer… Dis à Marguerite [son joaillier], dans le cas ou mon ajustement d’émeraudes serait prêt, de me l’envoyer par la même occasion ». Quittant Aix le 12, elle se rend à Cologne d’où elle remonte le Rhin en bateau, tandis que Napoléon prenant la voie terrestre, tous deux arrivent le même jour à Mayence, chef-lieu du département du Mont-Tonnerre. Ils y séjourneront treize jours, du 20 septembre au 2 octobre, habitant la Deutsches Haus, ancien palais du commandeur de l’ordre des chevaliers teutoniques, bâti le long du Rhin, mais jugé petit et malcommode pour de si puissants souverains ! Les princes allemands viennent faire leur cour à l’empereur ; on voit ainsi défiler les princes de Bade de Bavière, de Hesse-Darmstadt ou de Nassau. Pour soutenir ce train de vie somptueux, il faut posséder une garde-robe variée et donc coûteuse ; Elisabeth de Vaudey, l’un des dames du palais de l’impératrice, se rappelait que « Le matin, à 10 heures, on s’habille pour déjeuner ; à midi, on fait une autre toilette pour assister à des représentations ; souvent ces représentations se renouvellent à différentes heures et la toilette doit toujours être en rapport avec l’espèce de personnes présentées : en sorte qu’il nous est arrivé quelquefois de changer de toilette trois fois dans la matinée, une quatrième pour le dîner et une cinquième pour le bal. »

Mais le proche accouchement d’Hortense décide Joséphine à rentrer à Paris, et à laisser l’empereur continuer seul son voyage en Allemagne. Elle quitte Mayence le 2 octobre, faisant étape le soir à Saverne, à Nancy et à Châlons-sur-Marne avant d’arriver le 7 au matin à Paris, après avoir roulé toute la nuit. Elle rentre juste à temps pour assister aux couches de sa fille qui ont lieu le 11. A deux heures et demi de l’après-midi, Hortense donne naissance, dans son hôtel de la rue Cerutti, à son second fils Napoléon-Louis, faisant ainsi Joséphine grand-mère pour la deuxième fois, alors qu’elle-même tentait encore désespérément de donner un héritier à l’empereur à quarante ans passés!

Napoléon la rejoint le lendemain 12 octobre à Saint-Cloud ; l’empereur et l’impératrice partagent les mois d’octobre et de novembre entre les Tuileries et Saint-Cloud, tout aux préparatifs du prochain couronnement. C’est là où, se confiant à Roederer à propos des tensions entre Joséphine et la famille Bonaparte, il lui dit « Ma femme est une bonne femme qui ne leur fait point de mal. Elle se contente de faire un peu l’impératrice, d’avoir des diamants, de belles robes, les misères de son âge ! Je ne l’ai jamais aimée en aveugle. Si je l’ai faite impératrice, c’est par justice. Je suis surtout un homme juste. Si j’avais été jeté dans une prison au lieu de monter sur le trône, elle aurait partagé mes malheurs. Il est juste qu’elle participe à ma grandeur ». Mais il s’agit maintenant de recevoir dignement le Pie VII venu couronner Napoléon à Fontainebleau. Après une rapide remise en état, l’ordre de remeubler le vieux château est donné le 6 novembre et dès le 22, après avoir déployé des trésors d’imagination, tout est fin prêt. L’empereur, l’impératrice, les officiers et les dignitaires arrivent dans des appartements mal chauffés où flotte encore l’odeur de neuf et de peinture fraîche. C’est vraisemblablement au soir du 26 que Joséphine avoue en secret au Pape qu’elle n’est pas mariée religieusement ; elle s’interroge de savoir si son union n’existant pas devant Dieu, elle peut être couronnée par le souverain pontife. Atterré, Pie VII promet d’en parler à Napoléon, car pour lui pas de sacre sans mariage. Joséphine est soulagée ; à ses yeux cette bénédiction nuptiale éloigne définitivement l’ombre du divorce. Le retour aux Tuileries se fait au soir du 28 et le 1er décembre, veille du Sacre, le cardinal Fesch célèbre en secret aux Tuileries le mariage religieux de Napoléon et de Joséphine. Elle conservera toujours comme un véritable trésor le certificat établi le 27 décembre par Fesch, et jamais, quelques efforts que l’empereur ait pu faire pour le lui reprendre, elle ne consentit à s’en séparer.

Enfin le grand jour arriva. En ce 2 décembre, le temps était froid et brumeux. Joséphine est resplendissante et paraît selon les témoins plus jeune que son âge. Souriante et radieuse, elle était l’élégance et la majesté mêmes, et « jamais reine ne sut mieux trôner sans l’avoir appris ». Personne mieux que Mme Junot, la future duchesse d’Abrantès, n’a sur rendre le moment d’intense émotion qui passa entre ces deux êtres qui s’étaient élevés ensemble jusqu’au trône. Placée dans une travée du maître-autel, à l’étage supérieure, rien ne lui échappa : « Il [Napoléon] jouissait en regardant l’impératrice s’avancer vers lui et, lorsqu’elle s’agenouilla, lorsque les larmes, qu’elle ne pouvait retenir, roulèrent sur ses mains jointes qu’elle élevait bien plus vers lui que vers Dieu, dans ce moment où Napoléon, ou plutôt Bonaparte, était pour elle sa véritable providence, alors il y eut entre ces deux êtres une de ces minutes fugitives dans toute une vie et qui comblent le vide de bien des années. L’empereur mit une grâce parfaite à la moindre des actions qu’il devait faire pour accomplir la cérémonie. Mais ce fut surtout lorsqu’il s’agit de couronner l’impératrice. Cette action devait être accomplie par l’empereur, qui, après avoir reçu la petite couronne fermée et surmontée de la croix, qu’il faisait placer sur la tête de Joséphine, devait la poser sur sa propre tête, puis la mettre sur celle de l’impératrice. Il mit à ces deux mouvements une lenteur gracieuse qui était remarquable. Mais lorsqu’il fut au moment de couronner enfin celle qui était pour lui, selon un préjugé, son étoile heureuse, il fut coquet pour elle, si je puis dire ce mot. Il arrangeait cette petite couronne qui surmontait le diadème en diamants, la plaçait, la déplaçait, la remettait encore ; il semblait qu’il voulût lui promettre que cette couronne lui serait douce et légère ! ».

Hélas ! Cette couronne ne devait ni douce ni légère, car après cinq années d’un règne glorieux, comme se souvient Bausset, préfet du Palais, « elle descendit du premier trône du monde, mais elle n’en tomba pas, et présenta à l’Europe étonnée le spectacle d’un inconnu dévouement sans ostentation, et d’un oubli de soi-même le plus noble et le plus pur. Jamais elle ne fut entourée de plus d’hommages et de respects que lorsque, satisfaite d’avoir fait volontairement le sacrifice le plus pénible, elle vint se retirer sous les ombrages de la Malmaison ».

© Bernard CHEVALLIER, directeur des châteaux de Malmaison et Bois Préau, du musée napoléonien de l’Île d’Aix, et de la Maison Bonaparte à Ajaccio, conservateur général du patrimoine.

août 29, 2007

DOUCE ET INCOMPARABLE JOSEPHINE, IMPERATRICE DES FRANCAIS (1763-1814)

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L’Impératrice Joséphine (1763-1814)

Joséphine était une femme des plus agréables. Elle était pleine de grâce, et femme dans toute la force du terme, ne répondant jamais d’abord que « non » pour avoir le temps de réfléchir. Elle mentait presque toujours, mais avec esprit. Je puis dire que c’est la femme que j’ai le plus aimée.

(Napoléon Bonaparte)

« Douce et incomparable Joséphine », l’expression est de Napoléon lui-même qui l’utilise dans une des toutes premières lettres qu’il lui adresse en 1795 ; lui seul réellement pouvait juger si elle était aussi « douce et incomparable » qu’il l’imaginait.

Il convient avant tout de faire une mise au point sur son nom réel. La plupart des gens la connaissent de nos jours sous le nom de Joséphine de Beauharnais, or stricto sensu, Joséphine de Beauharnais n’a jamais existé ! Cette affirmation demande une explication : elle est baptisée en 1763 sous le nom de Marie-Joseph-Rose de Tascher de la Pagerie et Rose est son prénom usuel qu’elle portera jusqu’à sa rencontre avec le futur empereur en 1795. Mais bien évidemment personne ne sait de nos jours qui est Rose de Beauharnais. C’est Napoléon lui-même qui décide de féminiser son prénom de Joseph en Joséphine et elle devient alors Joséphine Bonaparte, puis l’impératrice Joséphine. Au moment de son décès en 1814, les journaux royalistes annoncent la mort de Mme veuve de Beauharnais, comme si l’empereur n’avait jamais existé. On évacue alors le patronyme Bonaparte pour ressusciter celui de Beauharnais tout en conservant le prénom que Napoléon lui avait donné : ainsi naquit Joséphine de Beauharnais ! Je vous engage donc à ne plus la nommer ainsi, mais Joséphine Bonaparte ou l’impératrice Joséphine.

Elle naît à la Martinique en 1763, c’est-à-dire seulement huit ans seulement après la reine Marie-Antoinette, et lorsqu’elle épouse Napoléon, elle a déjà trente-trois ans et a vécu plus de la moitié de sa vie. Elle est donc une femme ancrée dans le XVIIIè siècle, ce qui lui permettra plus tard de jouer un rôle important dans la fusion des deux sociétés, celle issue de l’Ancien Régime et celle générée par la Révolution.

La famille de Tascher est d’antique noblesse, certains de ses membres ayant été chevaliers croisés auprès de Saint-Louis ; c’est en 1726 qu’une branche Tascher de la Pagerie vient s’installer à la Martinique. La petite Marie-Joseph-Rose trouve son île trop étroite et rêve d’aller à Paris. Ce rêve prend corps lorsqu’on la marie à l’âge de seize ans à Alexandre de Beauharnais, un époux qu’elle n’a quasiment jamais vu et qui va lui donner deux enfants, d’abord un fils, Eugène, en 1781, puis une fille, Hortense, en 1783. La suspicion et la jalousie maladive du mari débouchent très rapidement sur la séparation du couple qui intervient après la naissance d’Hortense ; Joséphine s’installe alors dans l’abbaye de Panthémont, rue de Grenelle, où les religieuses mettent des appartements à la disposition des femmes de distinction ; elle conserve alors la garde de sa fille. En 1788, elle décide de retourner en Martinique avec Hortense pour tenter de récupérer quelque argent auprès de son père. Elle y reste deux ans, lorsque les mouvements révolutionnaires ayant atteint les Antilles, elle rentre précipitamment en France en octobre 1790 pour découvrir qu’Alexandre est devenu un personnage en vue, bientôt Président de la Constituante. Sans reprendre la vie commune, elle se rapproche de cet époux influent, cherchant comme elle le fera toute sa vie à se rapprocher du pouvoir, non pas pour le plaisir de l’exercer, mais pour les facilités matérielles qu’il apporte. Dès lors, elle fréquente avec une grande insouciance les milieux politiques les plus contrastés, cherchant toujours à rendre service à son entourage. Mais la loi des suspects de septembre 1793 ordonnant l’arrestation des gens jugés dangereux, Alexandre est d’abord emprisonné, puis est rejoint par Joséphine en avril 1794. S’il est guillotiné quelques jours avant la chute de Robespierre, Joséphine échappe de justesse au supplice, mais restera marquée à tout jamais par cet enfermement, au cours duquel elle s’attendait chaque matin à entendre prononcer son nom sur la liste des condamnés.

A sa sortie de prison, elle devient avec Mme Tallien l’une des gloires de la société thermidorienne, se rapprochant du plus influent des directeurs, Barras dans le salon duquel elle rencontre un jeune général corse répondant au nom de Napoléon Bonaparte. Elle pense qu’à trente-deux ans passés, il serait convenable de se remarier pour assurer son avenir et celui de ses enfants. Ce jeune général semble avoir de l’avenir ; de plus il l’amuse et la croit très riche, ce qu’elle lui laisse croire. A ses yeux, ce n’est qu’un mariage de convenance, célébré un peu rapidement par un beau jour de mars 1796, dans lequel Joséphine trouve un protecteur et Napoléon une femme influente qui lui ouvre les portes de la société directoriale. Mais il s’avère que le mari est follement amoureux de son épouse, chose étrange pour une femme d’Ancien Régime, et qui lui semble du dernier bourgeois ! Elle ne comprend pas ce qui lui arrive et s’amuse des lettres enflammées que lui envoie son mari. Elle y répond de temps à autre, mélangeant le « tu » et le « vous », ce qui ne manque pas d’irriter notre amoureux qui lui répond rageusement « vous toi-même » !

La vie agitée qu’elle mène à Paris la fait hésiter à le rejoindre en Italie, mais peu à peu elle se fait à l’idée que ce mari qu’elle a épousé un peu vite a un véritable avenir devant lui. Elle en prend réellement conscience lorsque le coup d’état de brumaire fait d’elle la première dame de France à l’âge de trente-six ans, avec le titre peu gracieux de consulesse, mais sans imaginer un seul instant qu’elle deviendra un jour impératrice.

Dès cette époque, l’épouse du Premier Consul s’investit dans de multiples tâches. D’abord sa grande connaissance des milieux aristocratiques lui permet d’aider au retour des émigrés et elle organise quasiment le bureau des radiations ; c’est grâce à son action qu’une grande partie de la noblesse d’Ancien Régime va se rallier à Bonaparte. Devenue impératrice des Français le 18 mai 1804, elle se glisse alors avec une aisance déconcertante dans ses nouveaux habits impériaux. Elle comprend immédiatement qu’elle succède à la reine Marie-Antoinette dans ce rôle, tient sa cour avec beaucoup de tact et de distinction et se met à protéger les artistes.

Elle aide d’abord les jeunes peintres et active le goût pour le Moyen-Age en leur commandant des tableaux retraçant l’histoire nationale. On fait généralement commencer la naissance de ce mouvement romantique avec la publication de Notre-Dame de Paris ou bien avec le patronage de la duchesse de Berry, alors que c’est Joséphine qui l’initie dès le début des années 1800. La plupart des thèmes abordés sont tristes et mélancoliques, liés à la mort, la séparation ou l’abandon, et se retrouvent dans sa collection de peintures modernes.

Elle développe également sa passion pour les antiques, réunissant une magnifique collection de deux cent cinquante vases grecs ou de bronzes provenant des fouilles d’Herculanum et de Pompéi, qui lui sont offerts par les souverains napolitains.

Pour enrichir ses collections, elle n’hésite pas à se servir dans les collections nationales, les limites du domaine public et du domaine privé n’étant pas alors aussi clairement définies que de nos jours. Aussi lui arrive-t-il de se servir parfois aussi bien dans les collections du musée des Monuments Français que dans celles du musée Napoléon, notre actuel musée du Louvre ! Elle n’hésite pas non plus à faire ôter les bas-reliefs de la laiterie de Rambouillet pour garnir sa chère Malmaison. Nous jugeons sévèrement ces comportements avec nos yeux du XXIè siècle, mais de telles pratiques étaient alors monnaie courante.

Joséphine recherche également des objets ayant appartenus à Louis XVI ou à Marie-Antoinette, comme des plaques en porcelaine de Sèvres provenant de leurs appartements de Versailles ; elle entre aussi en possession du guéridon livré par Sèvres à Mme du Barry. On retrouve là son attachement pour l’art de sa jeunesse, celui de la fin du XVIIIè siècle qui a marqué si fortement son goût.

Elle n’omet pas non plus de patronner la musique à l’instar de Marie-Antoinette. Afin de régénérer l’opéra français, la reine avait appelé à Paris le chevalier Gluck qui livra son premier opéra français, Iphigénie en Aulide ; parallèlement, Joséphine impose l’italien Spontini qui lui dédie la Vestale, premier grand opéra à la française, ancêtre des œuvres lyriques de la première moitié du siècle jusqu’à Berlioz.

Mais sa vraie passion va aux sciences naturelles, d’abord à la botanique, puis à la zoologie. La légende veut que le nom de Joséphine soit attaché aux roses. Tout ceci repose sur un malentendu qui s’appelle Redouté ! Le succès de son ouvrage sur les Roses, en a répandu la célébrité sur la terre entière, allant jusqu’à fasciner les Japonais qui en font un véritable mythe. En réalité, aux yeux de Joséphine, sa collection de roses n’a pas plus d’importance que ses pélargoniums ou ses bruyères. Et qui plus est, elle n’avait pas de roseraie ! Cette notion de roseraie ne remonte guère au-delà de la fin du XIXè siècle lorsque Jules Gravereaux réalise la première roseraie moderne à l’Haÿ-les-Roses. Sous l’Empire, les rosiers n’étant pas remontants et ne fleurissant donc qu’une fois l’an en mai et juin, sont placés dans des pots, sortis juste le temps de leur floraison. En vraie passionnée, elle connaît les noms latins des plantes qu’elle cultive, et ne dédaigne pas de correspondre directement avec les professeurs du Museum d’histoire naturelle qui la considèrent un peu comme faisant partie des leurs. Dans ses serres de Malmaison qui sont construites à grand frais, plus de deux cents plantes nouvelles fleurissent pour la première fois en Franc comme le camélia, le phlox ou le dahlia. Pour moitié avec un pépiniériste londonien, elle engage un jeune botaniste écossais qui herborise dans la région du Cap, en Afrique du sud, afin de lui fournir des plantes jusqu’alors inconnues comme les proteas et les erikas.

La zoologie ne la laisse pas indifférente. Elle profite de l’expédition aux Terres australes envoyée par le Premier Consul en 1800 et conduite par le capitaine Baudin, pour littéralement rafler les plus beaux sujets lorsqu’ils arrivent au port de Lorient. Le partage est inégal avec le Museum et Joséphine s’approprie le seul couple de cygnes noirs alors connus en Europe ; il s’acclimatera et se reproduira à Malmaison.

Les dettes sont intimement liées à la vie de Joséphine. Ses rapports avec l’argent ont toujours été à l’origine de terribles colères de la part de Napoléon. Elle oublie aussitôt ce qu’elle vient d’acheter, ce que Bourrienne relate joliment en écrivant que son plaisir n’était pas de posséder, mais d’acquérir. Combien de caisses réglées à force de larmes et jamais ouvertes, que ce soit à Malmaison ou à Saint-Cloud ; on en a même retrouvé sous Napoléon III dans cette dernière résidence, laissées là depuis un demi-siècle !

Joséphine a certes coûté très cher à la France, et certainement plus que la reine Marie-Antoinette, mais sa grande bonté et sa qualité de française lui ont épargné les foudres de ses sujets. On peut évaluer à cinquante millions de francs ce qu’elle a coûté à notre pays, sachant qu’à la même époque un garçon jardinier gagnait six cents francs par an ! Mais elle était la souveraine du pays le plus puissant et Napoléon avait souhaité que le commerce de luxe dépassât le niveau qui était le sien avant la Révolution. En réalité, il a été entendu au-delà de toute espérance et connaissant la propension de Joséphine à dépenser sans compter, il aurait dû être plus méfiant et ne s’en prendre qu’à lui-même.

Elle ne suit pas la mode, mais elle la créée, dépensant sans compter tant pour ses toilettes que pour ses bijoux. Son écrin est le plus riche d’Europe.

Tous les moyens lui sont bons pour se procurer de l’argent. Si Bonaparte avait accepté que les généraux s’enrichissent au moment du Directoire, il n’admet plus de malversations dès qu’il devient le chef de l’Etat. Or, Joséphine ne le comprend pas et continue de s’enrichir par des moyens peu honnêtes. Elle continue à s’impliquer dans les fournitures aux armées, n’hésitant pas à vendre des chevaux borgnes au prix de purs sangs. Elle va jusqu’à commettre ce qu’on appellerait de nos jours un délit d’initié ; informée avant tout le monde que la paix allait être signée avec l’Angleterre, elle s’acoquine aussitôt avec un agent de change, lui promettant de partager les bénéfices, ce qu’elle se gardera bien de faire. C’est seulement après la mort de l’Impératrice que le pauvre agent de change osa réclamer son dû au prince Eugène qui s’empressa de régler la dette de sa mère. Napoléon ne l’apprit jamais. Elle ne lui avouait d’ailleurs jamais la vérité, lui disant d’abord non pour se laisser le temps de la réflexion. Ensuite, elle consentait à lui révéler généralement la moitié de sa dette, ce qui le faisait immanquablement crier ; alors elle pleurait et il finissait toujours par payer, ne sachant pas résister aux larmes de Joséphine.

Le divorce a toujours été son épée de Damoclès ; il en est déjà question dès 1798 au moment de sa liaison probable avec le jeune Hippolyte Charles, puis peu à peu elle se rend compte qu’elle ne peut pas donner d’héritier à Napoléon. Elle avait réussi à le convaincre de sa stérilité, arguant la naissance de ses deux enfants, Eugène et Hortense. Si l’Empereur avait déjà eu un fils naturel en 1806, le futur comte Léon, il n’était pas totalement certain de sa paternité, la jeune femme ayant probablement partagé en même temps que Napoléon les faveurs de Murat. Mais sa rencontre avec Marie Walewska et la naissance de leur fils, Alexandre Walewski, le convainc définitivement de sa faculté de procréer. Il faut un héritier à l’Empire et sa décision de divorcer est alors arrêtée. Cette séparation est vécue comme une véritable épreuve par les deux époux ; le temps et des moments difficiles partagés ensemble avaient renforcé leur complicité ; ils s’étaient élevés ensemble jusqu’aux marches du trône. Elle partageait ses habitudes depuis si longtemps, et Napoléon savait qu’il allait devoir affronter une nouvelle épouse qui ne le connaissait pas. Cette séparation par consentement mutuel reste unique dans l’histoire de notre pays. Le jour de la cérémonie, devant la cour et la famille impériale assemblée, Napoléon fait cette déclaration stupéfiante lors d’un divorce : « Elle a embelli quinze ans de ma vie ».

Consciente de s’être sacrifiée au bonheur de la France, Joséphine vit ses dernières années dans une triste solitude. Elle conserve son titre d’impératrice, et Napoléon ne manque jamais de venir lui rendre visite, généralement une fois l’an, et toujours dans le jardin afin d’être vus de tous. Elle occupe son temps en voyageant beaucoup, principalement en Suisse et en Savoie où elle n’hésite pas à monter sur la mer de glace à Chamonix, accompagnée d’une véritable caravane d’environ quatre-vingts personnes ! Une autre année, elle se rend à Milan pour les couches de sa belle-fille, l’épouse d’Eugène, et surtout pour faire la connaissance de ses petits-enfants qu’elle n’a jamais vus. Les enfants d’Eugène feront de splendides mariages : l’un épousera la reine du Portugal, l’une sera impératrice du Brésil, et une autre deviendra reine de Suède en épousant le fils de Bernadotte. De cette dernière descendent actuellement les rois des Belges, de Norvège et de Suède, les reines des Hellènes et du Danemark et le grand-duc de Luxembourg, qui né prince de Bourbon-Parme, descend aussi bien de Joséphine que de Louis XIV !

A la fin de sa vie, Joséphine devient une grand-mère attentive et aimante ; ses petits-enfants comptent beaucoup pour elle, principalement les deux fils d’Hortense Napoléon-Louis et Louis-Napoléon qu’elle voit très souvent et qui passent régulièrement l’été à Malmaison. Le dernier, qui deviendra Napoléon III, fait sa joie ; surnommé Oui-Oui, il la ravit par ses bons mots et elle l’autorise même à couper les cannes à sucre de la serre chaude pour les sucer. Ces souvenirs d’enfance l’avaient tant marqués qu’il rachètera Malmaison en 1861 afin d’en faire un premier musée napoléonien.

Rentrée de Milan à l’automne 1812, elle apprend les nouvelles désastreuses de la campagne de Russie ; désormais, elle se terre à Malmaison et ne voyage plus. Elle part seulement quelques jours dans sa terre de Navarre, aux portes d’Evreux, à l’approche des armées alliées et y apprend l’abdication de Napoléon. Désormais l’épopée est terminée, elle ne peut compter que sur elle-même. Elle rentre alors à Malmaison, respectée de tous et principalement du tsar Alexandre ; ayant toujours besoin d’un protecteur, elle s’en rapproche comme elle l’avait fait précédemment plusieurs fois au cours de sa vie avec Alexandre de Beauharnais, Barras ou Napoléon. Le tsar sépare le sort des Beauharnais de celui des Bonaparte ; l’attitude de Joséphine et de ses deux enfants a toujours forcé son admiration tant par leur éducation que par leur fidélité à Napoléon, et de plus, le beau-père d’Eugène, le roi de Bavière, a épousé la sœur de la tsarine. La Restauration lui ayant conservé son titre d’impératrice, elle reçoit à Malmaison les souverains alliés comme le roi de Prusse ou le tsar de Russie et éclipse la cour des Tuileries ; Louis XVIII est veuf depuis longtemps et les Tuileries rappellent trop de souvenirs pénibles à sa nièce, la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI, pour qu’elle y tienne une cour brillante. Ces mois d’avril et mai 1814 voient donc l’apothéose de Joséphine et elle a le bonheur de disparaître au bon moment, en pleine gloire, n’ayant certainement pas pu résister au-delà de la première Restauration. Au retour de Napoléon de l’île d’Elbe, elle n’aurait pu se tenir à l’écart des Cent-Jours, et elle aurait tout perdu après Waterloo, devant vraisemblablement s’exiler et quitter sa chère Malmaison. Elle a été le grand amour de Napoléon qui se rappelait à Sainte-Hélène que « c’était une vraie femme » et ajoutant que « Joséphine était la grâce personnifiée ».

© Bernard CHEVALLIER, directeur des châteaux de Malmaison et Bois Préau, du musée napoléonien de l’Île d’Aix, et de la Maison Bonaparte à Ajaccio, conservateur général du patrimoine.