septembre 13, 2007

BONAPARTE, LIEUTENANT-COLONEL DES GARDES NATIONALES DE LA CORSE

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Bonaparte, lieutenant-Colonel des volontaires de la garde nationale en Corse (1792)

Dans le monde il n’y a qu’une alternative : commander ou obéir. On prétend que, pour bien savoir commander, il a fallu d’abord bien savoir obéir. Quelle erreur ! Je n’ai jamais obéi, moi, j’ai toujours commandé.

(Napoléon Bonaparte)

Le lieutenant Bonaparte arriva à Ajaccio vers la mi-septembre 1791 ; le 15 octobre, il avait la douleur d’assister à la mort, à l’âge de soxante-treize ans, de son grand-oncle, l’archidiacre Lucien, qui avait été pour les siens un véritable père ; il y avait nécessité pour lui, maintenant à rester en Corse. Dans ce but, il écrivit à son parent M. Rossi, maréchal de camp à Bastia, pour solliciter une place d’adjudant-major dans les bataillons de gardes nationales en formation. Sa nomination avait lieu en février 1792 ; mais sa joie fut de courte durée : M. Rossi lui notifia, dans les premiers jours de mars, qu’il ne pouvait plus occuper l’emploi d’adjudant-major auquel il l’avait destiné, parce qu’il était dans l’obligation, ainsi que tous les officiers en activité dans les troupes de lignes qui étaient maintenant employées dans les bataillons de gardes nationales, « de rejoindre son corps le 1er avril au plus tard ». Or, les lieutenants-colonels des bataillons de garde nationales étaient, par exception, dispensés de rentrer dans les régiments. En homme de décision rapide, il résolut, dans l’intérêt de sa famille, de se faire élire, coûte que coûte, un des lieutenants-colonels du bataillon qui avait pris garnison à Ajaccio le 1er mars.

Après le retrait des candidatures Pietrino Cunéo et Ludovic Ornano, les candidats en présence étaient Mathieu Pozzo-di-Borgo et Jean Peraldi, frères des députés à la Législative ; le lieutenant Bonaparte et Quenza, frère d’un membre de l’administration départementale.

Bonaparte s’allia à Quenza ; il lui laissait, en cas de succès, le commandement du bataillon et se reservait l’emploi de lieutenant-colonel en second.

Les trois délégués du département chargés de procéder aux élections, arrivèrent à Ajaccio dans la soirée du 30 mars. Il n’y avait en ville que de mauvaises auberges. Un des commissaires, Grimaldi, descendit chez son parent Fesch ; le second, Quenza, le frère du candidat avait été reçu par Ramolino, un parent de Letizia ; le troisième, Murati, avait été accaparé par Jean Peraldi, à son entrée en ville.

Grimaldi et Quenza étaient favorables au parti Bonaparte ; Murati devenait suspect, par suite de son séjour chez les adversaires. Or, de l’attitude des commissaires, de leurs préférences envers un candidat, dépendait l’issue de l’élection, car l’effet moral aurait été décisif sur les douteux qui attendaient la dernière heure pour se prononcer.

Dans la journée du 31, Bonaparte fut nerveux et inquiet. Pour sûr, confiait-il à quelques-uns de ses dévoués partisans, Murati, un de ses bons amis, avait été séquestré par les Peraldi ! Ne devait-on pas le délivrer ?

A la nuit tombante, trois montagnards, armés de pied en cape, se rendirent chez Peraldi, demandèrent à parler à Murati, et le contraignirent à les suivre, malgré les protestations de Peraldi, chez Bonaparte.

Le lendemain, les gardes nationaux s’assemblèrent à l’église Saint-François. Les commissaires avait pris un arrêté, dans la matinée, disant que les électeurs en armes n’auraient pas été admis dans la salle du vote. Dans les deux partis, on observa, en apparence, l’arrêté, mais chaque électeur avait dissimulé des armes sous ses vêtements.

Mathieu Pozzo-di-Borgo monta à la tribune. Il flétrit en termes violents, l’acte de brigandage commis la veille, qui entachait de nullité les opérations électorales. Lorsqu’il voulut passer aux instigateurs de cette manoeuvre, les partisans de Bonaparte, après avoir essayé vainement d’étouffer sa voix, le saisirent par les jambes, l’arrachèrent de la tribune, l’expulsèrent de la la salle.

Désormais la lutte n’était plus douteuse. Le calme se rétablit et on procéda aux élections. Quenza fut élu lieutenant-colonel en premier du deuxième bataillon de volontaires nationaux, Bonaparte Lieutenant-colonel en second.

Leurs amis se partagèrent les emplois de capitaines, lieutenants et sous-officiers.

Le 2 avril 1792, le 2e bataillon de gardes nationales, autrement dit le bataillon Quenza-Bonaparte était passé en revue par M. le colonel Maillard, du 42e de ligne.

En prenant le commandement effectif du bataillon, puisque Quenza était dépourvu de connaissances militaires, Bonaparte rédigea aussitôt, en quelques articles concis, « un règlement pour la police et le service » de ses hommes.

La lutte de ces derniers jours avait accentué la division intestine qui existait entre les ajacciens les habitants de l’intérieur. Les ajacciens traitaient dédaigneusement les gardes nationaux de paysans, c’est-à-dire de rustres.

D’autre part, la question religieuse passionnait l’opinion publique ; le bas peuple et les bonnes femmes étaient pour les pères capucins d’Ajaccio qui venaient d’être expulsés ; les patriotes, et en particulier les gardes nationaux, étaient pour les prêtres constitutionnels.

Le dimanche de Pâques, 8 avril, à la suite d’une dispute entre deux jeunes gens qui jouaient aux quilles, un conflit sanglant se produisit entre la population et les gardes nationaux ; le 8 avril, un garde national était blessé grièvement, et le lieutenant Rocca della Serra tué ; le lendemain, les gardes nationaux tuaient une veuve, une fillette de treize ans, blessaient mortellement l’abbé Peraldi, neveu du député à la Législative, blessaient à la cuisse le commissaire du roi Grandin, et, à la main Mlle Apostoline Comnène. Les troubles se prolongèrent jusqu’au 12 avril.

Au cours de ces événements tragiques, Bonaparte avait gardé l’esprit alerte, lucide. Il réussit à imposer à la municipalité d’Ajaccio une convention qui sauvegardait la dignité de ses hommes.

La présence des garde nationaux étant devenue impossible à Ajaccio, le bataillon Quenza-Bonaparte reçut l’ordre de se rendre à Corté. Paoli, qu’il était allé voir à Monticello, en vue d’un commandement dans les compagnies de volontaires qu’on allait lever, s’était montré très réservé ; du moment qu’il n’y avait plus rien à faire en Corse, il résolut de se rendre à Paris pour obtenir sa réintégration dan son régiment.

Bonaparte arriva à Paris le 28 mai. Il descendit à l’Hôtel des Patriotes hollandais, rue Royale, où logeaient les députés corses Pozzo-di-Borgo, Leonetti, et Peraldi, avec le dessein arrêté de circonvenir Pozzo et Peraldi, de regagner leur amitié, ou, tout au moins, d’atténuer leur hostilité.

Il avait quitté Valence, en 1791, le cerveau saturé de lectures, réfractaire déjà aux influences d’autrui, et ayant un esprit clair, organisé à ne recevoir de leçons que des faits, des observations directes sur la vie ; depuis il s’était mêlé à la foule ; il avait assisté à des élections, toisé les grands meneurs de la politique corse ; il avait vu les manoeuvres employées, la ruse, la force pour triompher, apprécié le rôle de l’argent dans le maniement des hommes, mesuré l’intensité des passions qui les mènent ; il avait observé Paoli, un héros, en qui s’alliaient la subtilité, la prudence, la fermeté, sous le déguisement d’une bienveillance inaltérable, d’un patriotisme éclairé ; et on n’était jamais sûr de pénétrer le fin fond de sa pensée ; il avait alors compris, ainsi qu’il l’écrivait à Pozzo en 1790, que les théories des philosophes doivent fléchir et s’adapter aux nécessités de la vie ; les élections de lieutenant-colonel et les troubles de Pâques avaient hâté son apprentissage des hommes ; on ne se dirigeait pas dans la vie comme une force abstraite mais, si on voulait réussir, on avait des intérêts à ménager, des passions à flatter, des ruses d’adversaires à déjouer ; en un mot, on devait rester maître de soi, réprimer la fougue de son tempérament, comprimer les élans de la franchise, tout subordonner à la froide raison. Maintenant, à vingt-trois ans, tout enthousiasme irréfléchi était éteint en lui ; il calculait ses actes avec prudence, saisissait d’un esprit délié, l’écheveau embrouillé d’une combinazione, se pliait au gré des circonstances ; mais il avait gardé de la fougue initiale de son tempérament, la décision prompte, le coup d’oeil rapide et d’ensemble. La forme de ses lettres elle-même se modifiait ; sa phrase acquérait de la concision, se débarrassait de toutes les superfluités du style.

Bonaparte comprit, à l’accueil poli, mais froid, de Pozzo qu’il n’avait pas à compter sur son concours ; il apprit d’autre part, que Peraldi avait manifesté l’intention de se rendre expressément au bureau de l’artillerie pour déposer une plainte sur le rôle qu’il avait joué à Ajaccio. Pour paralyser l’action de Peraldi, il rendit visite à Barthélemy Arena, gagna sa confiance ; Arena était le seul député corse affilié aux Jacobins ; il pouvait donc disposer d’un grand crédit auprès du Ministère.

Il n’était bruit à Paris que d’une contre-révolution militaire. Bonaparte, l’esprit perpétuellement en éveil, lisait les feuilles publiques, suivait les événements d’un oeil clairvoyant, mais restait réfractaire à l’ambiance des passions déchaînées, dominé surtout par le besoin d’éclaircir, de comprendre le comment et le pourquoi des choses.

Il assista, en observateur lucide, à la Journée du 20 juin et à celle du 10 août.

Le 10 juillet, le Minsitre de la Guerre lui annonçait qu’il était réintégré dans on régiment avec le grade de capitaine, et il exprima le désir « qu’il abandonnât la garde nationale pour se rendre à son régiment ». Or, le 10 août, M. d’Ablancourt, ministre de la guerre, avait été renversé sans avoir signé le brevet de capitaine de Bonaparte ; celui-ci renouvela avec insistance les démarches dans les bureaux, et enfin, le 30 août, Servan, le nouveau ministre de la guerre, lui délivrait, à la date du 6 février (jour légal de sa nommination à l’ancienneté), son brevet de capitaine au 4e d’artillerie, avec rappel de solde ainsi que l’ordre en avait été donné, le 10 juillet.

Par décret du 7 août, suivi d’un article additionnel du 16, la Législative avait voté la suppression de la maison Saint-Louis ; il était donc de toute urgence pour Bonaparte qu’il rentrât en Corse pour y conduire sa soeur Marianna. Dans le courant de septembre, il arrivait à Marseille, ; comme il n’y avait aucun bateau en partance pour Ajaccio, il se rendait à Toulon, y apprenait l’abolition de la Royauté et la proclamation dela République, par décret du 21 septembre ; dans les premiers jours d’octobre, il débarquait à Ajaccio.

Son arrivée causa un événement en ville ; ses adversaires avaient escomptés sa comparution devant une cour martiale, et il rentrait à Ajaccio, à l’âge de vingt-trois ans, avec le grade capitaine. Ses partisans lui écrivaient pour lui exprimer « le vif désir qu’ils avaient de l’embrasser » ; les officiers de son bataillon lui faisaient part que tout allait à l’abandon ; il répondait que « dorénavant il serait là et que tout marcherait comme il faudrait ».

La situation de la Corse était critique. Le Directoire du département, composé en majeure partie, de jeunes gens inexpérimentés, avait accumulé les fautes, désorganisé les services administratifs.

Paoli, qui, il y a un an, était l’idole des Corse, avait fait de nombreux mécontents. Les frères Arena sapaient vigoureusement son autorité ; les Bonaparte, irrités de l’échec subi par Joseph aux élections des députés à la Convention qui avaient eu lieu du 17 au 22 septembre, plus irrités encore de la désignation, fin décembre 1792, de Pozzo-di-Borgo comme procureur général syndic du Département, avaient noué des intelligences avec Saliceti, qui visait à supplanter Paoli.

Sur les ordres du Conseil exécutif, Paoli, nommé le 11 septembre, commandant en chef de la 23e division militaire, faisait pousser activement, depuis le mois d’octobre, l’organisation d’une expédition contre la Sardaigne ; le bataillon Quenza-Bonaparte devait opérer une diversion à la Maddalena tandis qu’une attaquz serait dirigée contre Cagliari ; l’attaque de Cagliari, commandée par l’amiral Truguet (15-26 février 1793) et la contre-attaque de la Maddalena, commandée par Colonna-Césari (22-26 février 1793) échouèrent piteusement ; les troupes de débarquement étaient composées de volontaires marseillais, pour la plupart des gamins de quinze à seize ans, qui n’avaient jamais vu le feu ; ils furent pris d’une terreur panique dès les premiers engagements. Le capitaine Bonaparte qui commandait en chef l’artillerie à la Maddalena dut abandoner un mortier au pouvoir de l’ennemi.

Le 2 mars, Bonaparte envoyait au Ministre de la Guerre une protestation au sujet de « l’abandon » de la Madeleine. Après quatre jours de lutte, disait-il, où l’artillerie avait incendié un chantier de bois, écrasé quatre-vingt maisons, démonté l’artillerie ennemie, alors que les volontaires occupaient un « poste avantageux », ils recevaient l’ordre de Colonna-Césari de se « retirer promptement », ce qu’ils firent le coeur rempli de « confusion et de douleur ».

Il terminait en ces termes : « Voilà le récit fidèle, citoyen ministre, de cette honteuse expédition. Nous avons fait notre devoir et les intérêts comme la gloire de la République exigent que l’on recherche et l’on punisse les lâches et traîtres qui nous ont fait échouer ».

Quelques jours après, il était rentré à Ajaccio.

(Extrait du Souvenir de Napoléon à Ajaccio de Jean-Baptiste Marcaggi)

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