août 15, 2007
NAPOLEON BONAPARTE A AUXONNE PAR MARTINE SPERANZA* (1)
Auxonne, est une ancienne place forte dont le passé militaire, les fortifications, l’Arsenal et les Casernes seraient vite tombés dans l’oubli, s’ils n’avaient eu pour hôte, un jour de juin 1788, le lieutenant Napoléon Bonaparte.
Tous disent que déjà à cette époque on le remarque : c’est un jeune officier d’artillerie, fort maigre, très brun, aux yeux perçants, au visage sérieux, à l’accent légèrement italien : il est Corse, intelligent, et ambitieux. « Ce jeune homme ira loin » dit Lombard, son professeur de mathématiques, mais Bonaparte n’est encore qu’un simple lieutenant en second.
Lorsque le 18 Floréal an VIII, le Premier Consul en route pour l’Italie, s’arrête à Auxonne, il est fêté comme un héros. Le 2 décembre 1804, il devient Napoléon 1er, mais aujourd’hui à Auxonne il reste Bonaparte.
Son séjour ici comme à Valence, a fait l’objet de maints ouvrages, des plus grandes biographies aux plus mauvaises compilations ; il a fallut tous les lire et revenir aux sources, c’est à dire aux archives militaires et civiles qui permettent de redresser les erreurs des uns et vérifier le sérieux des autres ; mais rien n’est jamais terminé.
AUXONNE EN BOURGOGNE
« Auxonne, petite ville du Duché de Bourgogne, située sur la Saône qui passe à sa partie occidentale, est à 74 lieues de Paris, long. 23 d 3 ‘ 35″, lat. 47 d 11 ‘ 24″. Son territoire est plat, marécageux et argileux ; à l’occident sont de superbes prairies qui vont du nord au midi ; elles sont terrminées par de petites collines couvertes de forêts en divers endroits. La Saône coule dans la même direction et baigne les murs de la ville. A son orient sont d’excellentes terres, on y récolte des grains de toutes espèces, elles sont aussi bornées à environ une lieue et plus par des collines et des montagnes qui sont pareillement couvertes de forêts et sur lesquelles les nuées orageuses ont coutume de se diriger ». (Description topographique et médicale de la ville d’Auxonne – Par Roussel méd. adj. de l’Hôpital. 1786 ms F 502 – Archives départementales de la Saône et Loire).
La popualtion de la ville est de 3599 habitants en 1786, à cela s’ajoute le régiment d’artillerie, soit environ 1200 hommes et officiers.
Le voyageur qui passe par Auxonne, tel Arthur Young le 30 juillet 1789, voit une belle rivière et de grasses prairies, mais la réalité est un peu différente. Le climat est mauvais, la fin de l’automne et le printemps sont humides et froids, le peuple des campagnes est misérables, il ne se nourrit que de céréales et de légumes, « surtout d’une espèce de bouillie faite avec la farine de blé de Turquie appelée gaude ». La ville enfermée dans ses murs semble jouir d’une situation plus privilégiée ; la présence du régiment et de ses officiers lui procure une activité quotidienne, il n’y a pas moins de 35 cabaretiers, aubergistes, cafetiers ou traiteurs en ville en 1788. Mais de graves problème inquiètent le commandant de l’Ecole et le médecin de l’Hôpital : les casernes sont construites dans un lieu malsain, le long du fossé des fortifications, là où les eaux stagnent. Les latrines s’y diversent et c’est « le militaire si précieux à l’état, qui est la première victime de cette insalubrité » (ms Roussel -op. cit). Le canal de la petite Saône qui traverse la ville n’a pas assez de courant d’eau, les égoûts s’y déversent et répandent une odeur intolérable. Cette situation engendre des fièvres intermittentes dont Bonaparte a souffert en arrivant à Auxonne ; on compte 40 morts au Régiment entre 1788 et 1791.
La municipalité essaye, dans la mesure de ses modestes ressources, d’améliorer la vie quotidienne : le nom des rues est peint systématiquement aux angles des maisons, permettant aux soldats porteurs de billets de logement de s’orienter plus facilement ; le soir la ville est éclairée par 30 réverbères ; en 1786 le Roi donne enfin l’autorisation de démolir la tour de la Porte de France, vestige des anciennes fortifications, qui donnait à l’entrée d’Auxonne « une teinte sombre et lugubre » et causait par son étroitesse des encombrements perpétuels. Les propriétaires de maisons contribuent à l’embellissement de la ville par la construction de façades à la mode surtout dans la rue principale : on se préoccupe d’urbanisme.
Les relations entre la municipalité et le commandant de l’Ecole n’ont pas toujours été bonne et l’absence continuelle de M. de Bissy, gouverneur d’Auxonne, en est en partie responsable. Le Roi dut envoyer au baron du Teil, en 1783, un brevet l’établissant lieutenant-général, sous l’autorité du gouverneur, pour commander tant aux habitants qu’aux gens de guerre ; la situation devient meilleure avec le nouveau maire, de La Ramisse, puis son successeur Petit en 1788.
Et pourquoi ne pas rapporter pour mieux évoquer les hommes, les petits évènements qui rompent la vie monotone et réglée de la ville ? Parfois la Saône rejette le cadavre d’un soldat noyé, ainsi Jean-Baptiste Larcher dit l’Espérance trouvé mort au bas du grand pont, « vêtu d’un habit de culotte bleu uniforme d’artillerie, un gilet de coton blanc… portant cheveux noirs en queue et attachés d’un ruban noir vulgairement nommé floret… » Parfois on voit en ville une scène semblable à celle décrite par le Mercure Dijonnais en 1788 : « MM les officiers d’artillerie s’étaient mis à danser en rond l’un d’entre eux entra dans le milieu de la danse, monta sur les épaules d’un tambour et reçut sur son derrière un coup de main de chaque officier. Il remercia le tambour et lui donna douze sous ».
Ce jeu s’appelle fondre la cloche, l’officier avait manqué à une dame.
Comme partout la Révolution va tout bouleverser ; c’est l’heure des doléances, le désordre des esprits va gagner la rue. En janvier 1789 commence déjà la Révolution dont Bonaparte ne connaîtra que les prémisses à Auxonne, du 14 juillet au serment du 23 août.
LA REVOLUTION
11 et 12 juin 1788 : deux émeutes éclatent à Dijon après la « mise en vacances » du Parlement.
13 juin 1788 : 400 hommes du Régiment de la Fère arrivent à Dijon sur la demande du commandant de la province. Ils rentreront à Auxonne le 25 octobre après le retour des parlementaires.
11 juin 1789 : le Tiers-Etat auxonnais se prononce pour le vote par tête dans une assemblée de toute la nation formée des trois ordres réunis.
15 juillet 1789 : une émeute éclate à Dijon. A Auxonne, on reçoit des nouvelles alarmantes de Paris.
19 juillet et 20 juillet : à Auxonne la populace brise les barrières des octrois et pille la maison du receveur des gabelles. La bourgeoisie prend les armes pour veiller à la sureté publique. Le Régiment de la Fère intervient et le calme revient.
Fin juillet : Un régiment de garde nationale s’organise.
23 août 1789 : le Régiment de la Fère prête serment conformément aux décrets des Etats Généraux ; environ 150 artilleurs ont été répartis en détachements dans la province, à Macon, Cluny, Tournus ; chaque ville soucieuse de sa tranquillité réclame des troupes royales. Des canonniers sont envoyés à Dijon avec 4 pièces pour exercer les volontaires artilleurs.
10 décembre 1789 : le maire d’Auxonne Petit démissionne. Il est remplacé le 28 janvier 1790 par F.A. de Suremain.
27 et 28 février 1790 : la garde nationale proclame son adhésion aux décrets de l’Assemblée Nationale et invite la garnison qui avait su maintenir l’ordre « dans les temps de trouble et d’anarchie » à s’unir à elle pour défendre la tranquillité publique.
14 juin 1790 : le maire de Suremain, nommé administrateur au district, est remplacé par C. Bertrand.
14 juillet 1790 : nouvelle prestation de serment par les gardes nationaux et par le régiment, chaque officier et soldat « reçoit à la boutonnière un ruban aux couleurs de la nation ».
16 août 1790 : les cannoniers du régiment se révoltent et exigent de leur colonel la distribution de la masse noire. Un détachement de 50 hommes ne peut s’opposer à cette action. Le maire Bertrand dénonce la collusion entre les soldats insurgés et une certaine classe de citoyens.
23 janvier 1791 : l’aumonier du Régiment prête serment à la constitution civile avec 7 prêtres familiers.
20 juin 1791 : la fuite du Roi est présentée comme un enlèvement. La peur réapparaît : on fait l’inventaire des armes de l’Arsenal, on ramène en ville les armes du Polygone, on double la garde du Pont.
4 juillet 1791 : le Régiment de la Fère, devenu le 1er Régiment d’Artillerie, prête le serment conformément au décret de la Constitutante du 21 juin.
21 juillet 1791 : constitution à Auxonne d’une société populaire.
Fin 1791 : de nombreux officiers du Régiment émigrent pour constituer à l’étranger une armée destinée à délivrer le Roi : 14 capitaines et presqu’autant de lieutenants.
(Extrait du catalogue réalisé par Martine Speranza à l’occasion du bicentenaire de Bonaparte à Auxonne)
* Martine Speranza est présidente de l’Association Auxonne-Patrimoine.
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